jeudi 24 novembre 2011

Une protestation justifiée et nécessaire

Le mouvement des « indignés » semble s’essouffler. Bien des obstacles se présentent sur son chemin : manque d’un leader charismatique pour faire valoir sa légitimité, des objectifs trop nombreux et diffus, les problèmes de la sécurité des personnes impliquées, des infiltrations indésirables. Mais une partie de la population mondiale et des jeunes en particulier lancent là un cri qu’il ne faut pas ignorer.

Car nous vivons une crise mondiale provoquée par un capitalisme exacerbé qui a obtenu des gouvernements, trop faibles pour lui résister, une déréglementation désastreuse pour des milliards de personnes sur notre planète. Quelques richissimes continuent à monter des fortunes colossales alors que les pauvres toujours plus nombreux meurent ou cherchent en masse des pays de refuge. Les idoles de l’argent, du profit sans limites et sans lois, la concurrence effrénée et les exigences de performance dans les placements font sans doute plus que jamais couler des larmes et du sang sur notre planète.

On peut certes différer d’opinion sur les méthodes employées et bien d’autres aspects de cette opération, mais il me semble que ce cri des « indignés », qui depuis des mois résonne dans tous les médias, doit toucher les cœurs. Il révèle les effets désastreux et déshumanisants de systèmes qui se mondialisent, mais sans aucune norme éthique, sans balises humanistes, morales et compatissantes pour les endiguer et les orienter vers le bien commun mondial. Nous vivons un phénomène très accéléré de mondialisation financière et économique. Mais est-ce que nous saurons aussi  mondialiser la solidarité, le respect des personnes et le souci du bien commun?

Sans lien avec ce cri des « indignés » mais visant aussi les cœurs pour les interpeler, le Conseil pontifical Justice et Paix du Vatican, à la suite des nombreuses interventions de Jean XXIII, Paul VI, Jean-Paul II et Benoît XVI,  a publié un document qui met en évidence ce qui est en jeu : l’avenir de la planète. Et il a voulu chercher, avec d’autres, des solutions pratiques pour cette humanité souffrante et désemparée.

Ce document a pour titre : « Pour une réforme du système financier et monétaire international dans la perspective d’une Autorité publique à compétence universelle ». D’entrée de jeu, le Conseil affirme : «L’actuelle situation du monde exige une action d’ensemble à partir d’une vision claire de tous les aspects économiques, sociaux, culturels et spirituels ». Le respect de la dignité inaliénable de la personne et la recherche intense du bien commun restent toujours des repères essentiels pour notre avenir

Le Conseil affirme fortement que la situation actuelle exige une réflexion nouvelle sur tout ce qui y est en jeu : « La crise économique et financière que traversent les pays interpelle tout le monde — les personnes et les peuples — à effectuer un discernement approfondi des principes et des valeurs culturelles et morales qui sont à la base de la vie sociale en commun. » Mais la crise engage aussi les agents privés et les autorités publiques compétentes au niveau national, régional et international, à une réflexion sérieuse sur les causes et les solutions de nature politique, économique et technique.

Le document cite Benoît XVI affirmant que la crise « nous oblige à reconsidérer notre itinéraire, à nous donner de nouvelles règles et à trouver de nouvelles formes d’engagement, à miser sur les expériences positives et à rejeter celles qui sont négatives. La crise devient ainsi une occasion de discernement et elle met en capacité d’élaborer de nouveaux projets. C’est dans cette optique que, confiants plutôt que résignés, il convient d’affronter les difficultés du moment présent ».

Les responsables doivent travailler à bâtir un équilibre nouveau entre les politiques et les finances afin d’éviter que les « lois du marché » continuent à faire la pluie et le beau temps sur toute la planète, précipitant des pays entiers dans la faillite et des populations dans la misère et la mort. Il faut en venir à respecter la personne humaine. Pour cela, il importe de mâter l’exacerbation de la convoitise, du profit instantané qui met en péril l’avenir de l’humanité et la qualité de l’environnement dont nous sommes responsables.

Les solutions sont complexes et semblent totalement échapper à nos prises personnelles. Mais est-ce vraiment le cas? Nous pouvons mettre en action dans notre vie quotidienne une contestation pratique du principe qu’on veut nous inculquer : « Il faut acheter, dépenser, pour que l’économie roule ». Chacun de nos achats individuels peut ou bien appuyer cette idée ou bien la contester.

Ainsi, quel sera notre critère de dépenses durant le « temps des Fêtes » déjà lancé avec fanfares et trompette par les parades du Père Noël et la publicité qui promet tous les bonheurs dans des gadgets de toutes sortes? Nous nous laisserons guider par la convoitise sans cesse tisonnée par  mille moyens techniques, publicitaires et musicaux? Ou bien nous réfléchirons sur ce qui est vraiment nécessaire, utile ou beau, et ce qui est éthiquement acceptable dans le montant de nos dépenses et dans ce que nous choisirons d’acheter?

La situation de notre planète et de notre humanité exige de notre part, au quotidien, une nouvelle sagesse. Et je suis convaincu que l’Évangile de Jésus nous l’offre. C’est un chemin de simplicité, d’humilité, de partage, de solidarité, de justice et de réconciliation des cœurs, des familles, de l’entourage. Voilà un chemin offert à tous et qui nous permet de faire notre petite part pour que notre monde devienne plus humain et plus comme Dieu le rêve depuis le début de l’existence humaine. Ce sont les gouttes d’eau qui finissent par alimenter l’océan.

Caritas in veritate : Encyclique de Benoît XVI

† Roger Ébacher
Évêque émérite de Gatineau

vendredi 18 novembre 2011

7 milliards d’humains sur notre planète

L’Organisation des Nations-Unies, dans un estimé approximatif et plutôt symbolique, a affirmé que cet événement s’est produit le 31 octobre 2011. Cette déclaration de l’organisme international bouscule beaucoup de personnes, les provoque à réfléchir d’une façon neuve sur notre présent et notre avenir comme espèce sur cette petite terre qui semble se rétrécir de plus en plus. À preuve, un simple clic dans Google sur ce chiffre de 7 milliards nous renvoie à 77 800 000 hyperliens.

Et la réflexion semble bien aller dans tous les sens. Certains insistent sur les grands maux qui nous accablent : faim, eau, densité insupportable, envahissement de territoires et défoncement des frontières, environnement détruit et encore. Est-ce le début de l’Apocalypse? Allons-nous tous mourir de soif et de faim? Allons-nous vivre des luttes mortelles, des invasions brutales qui vont mélanger les populations et détruire certaines ? D’autres pensent différemment la situation. La science et la technologie sont capables  de continuer à améliorer l’agriculture et la santé. Et puis les humains sentent de plus en plus la nécessité de la mondialisation de la solidarité, non seulement entre humains mais aussi avec toutes les espèces vivantes et l’environnement. Ce nouveau seuil de la densité humaine sur la planète est-il une menace ou un défi? Toutes les hypothèses s’entrechoquent dans les médias, sociaux ou autres, de notre planète, sans oublier les conversations autour des tables de cuisine.

Sommes-nous vraiment trop nombreux pour ce que notre planète peut supporter? Faut-il encore limiter plus strictement les naissances? Pourtant des pays comme la Chine, le Brésil, sans parler du nôtre et de l’Europe, vivent un drame réel : celui du manque de jeunes. La population active devient trop petite pour subvenir aux besoins de plus en plus énormes de populations très vieillissantes.

Et que penser de l’accès à l’eau? Déjà ce souci est la cause de graves conflits régionaux. Même dans un pays aussi riche en eau que le Canada, des régions sont touchées par ce problème. On produit des rapports proposant diverses mesures pour en limiter l’utilisation, surtout industrielle. Ailleurs, comme en Israël, on développe des usines pour dessaler l’eau de mer.

Et que dire de l’accès à la nourriture? Nous voyons chaque jour sur nos écrans les drames vécus par des populations entières mourant dans des famines qui détruisent les liens humains et provoquent de multiples violences et déplacements massifs de populations. Et pourtant nous contrôlons les productions, même jetons des récoltes, pour ne pas faire baisser les prix ! Et puis nous gaspillons avec un sans étonnant. Il suffit de penser à ce qui reste dans nos assiettes après un gargantuesque repas.

Et on pourrait continuer ce tour de nos questionnements en regardant la situation globale de notre environnement et les tendances qui s'y dessinent. Nous entendons souvent qu’une ou de multiples espèces sont disparues ou en voie de disparition. Quotidiennement, les  personnes sensibles à la pollution, dont beaucoup de jeunes, nous rapellent que des drames se jouent entre notre espèce et toutes les autres espèces qui vivent avec nous sur cette planète. Nous sommes de terribles prédateurs!

Y a-t-il quelques solutions? Beaucoup sont suggérées. Certaines se mettent en place. Aucune ne sera facile. Mais je pense que ça doit aller dans le sens d’un respect profond de chaque personne humaine, d’un partage plus juste des ressources et des richesses limitées de la planète. Je pense à la surconsommation d’une petite minorité, au pillage de toutes les ressources au profit des actionnaires déjà millionnaires, aux refoulements des pauvres, des réfugiés et des immigrants. Les « indignés » mettent sur la place publique le scandale du capitalisme sauvage. Ce sont là de terribles défis. Notre avenir est dans une conversion vers un sens renouvelé de nos responsabilités sociales, éthiques, humaines face à notre humanité, nos congénères vivants et l’ensemble de notre planète.

En somme, il ne s’agit pas de prendre panique ni de rêver des utopies. Mieux vaut, je pense, réfléchir sérieusement sur les possibilités de transformations qui assureront à notre humanité solidaire un avenir sur une planète qui n’est pas remplaçable, dont nous devons avoir un soin jaloux ensemble. Il s’agit de découvrir par nos pensées, et traduire dans nos gestes et nos politiques, cette solidarité totale. C’est bien le chemin que Dieu nous trace déjà au tout début du livre de la Genèse quand il confie aux humains la gérance de sa création vue comme un magnifique jardin. C’est notre mission. Et elle est sûrement possible, dans le respect de tous les humains, dans une fraternité renouvelée, telle que Dieu la veut en nous confiant cette planète si belle et toute bleue vue du haut d’un satellite, si riche dans sa diversité inouïe de formes de vie, si généreuse dans sa fécondité sans cesse jaillissante. Divers organismes nous stimulent dans ce sens. Je pense ici à Développement et Paix. Sa campagne d’éducation de l’automne porte pour titre : « Solidaires, l’avenir est entre nos mains », et encore : « Aidez à refroidir la terre ».

† Roger Ébacher
Évêque émérite de Gatineau

jeudi 17 novembre 2011

Euthanasie et suicide assisté

Les sondages affirment qu’une majorité de personnes au Québec se disent favorables à l’euthanasie et au suicide assisté. Déjà en 1989 il y eut de nombreux débats sur le sujet autour du projet de bill privé C-384 devant le parlement canadien. Le débat est maintenant relancé par un recours devant les tribunaux de la Colombie-Britannique. Cette question n’est pas banale. C’est là un enjeu de justice sociale, de santé et de sécurité publiques, d’éthique.

La culture d'aujourd’hui nous rend particulièrement sensibles au vécu des personnes. Devant la souffrance, notre réaction, et c’est profondément humain, en est d’abord une de compassion. Nous ne devons pas juger la personne ravagée par la souffrance physique ou psychique mais au contraire nous en faire proches. Mais il me semble fondamental de nous demander quelles sortes de choix cette compassion appelle de nous.

Vivons-nous actuellement un affaiblissement sérieux des liens humains capables de nous rendre disponibles pour soigner, selon le slogan d’une cinquantaine de groupes du Royaume-Uni : « Care not killing » ? Développons-nous une façon de voir la vie et la mort en termes de performance, de « durée de vie utile », plutôt qu’en termes de dignité inaliénable de la personne humaine, quelle qu’elle soit? Quel type de société voulons-nous ? Inclusive ou exclusive ? Comment se fait-il que les soins palliatifs, qui pourtant ont fait leurs preuves, sont si peu développés ?

Danger pour les personnes les plus fragilisées
Une ouverture à l’euthanasie et au suicide assisté, même balisée légalement, est-elle nécessaire? Un tel changement m’apparaît en fait dangereux. Les membres les plus blessés de la société pourraient alors s’expérimenter comme un poids pour les autres et ressentir le « devoir de mourir ». Comme société, saurons-nous entendre le cri d’angoisse des personnes les plus vulnérables et les plus faibles de notre société ? Et puis, que va devenir la relation de confiance tellement fondamentale avec le médecin ?

À mon avis légaliser ces actes de mort n’est  pas la traduction adéquate de la compassion et de la sollicitude nécessaires devant les personnes souffrantes. Être compatissant, c’est assurer aux plus vulnérables d’entre nous, dont les personnes très souffrantes et mourantes, les soins appropriés et le contrôle de leur douleur, en autant que possible, en même temps qu’un support social, affectif et spirituel.  Cette fidélité à une présence, à une tendresse, à un amour donne au malade un sens profond de sa valeur unique. Une personne en soins palliatifs affirmait : « Ici, il ne me reste que l’essentiel. Et vous m’aidez à le vivre. Je suis émerveillée de découvrir tant d’amour. Je n’aurais jamais imaginé pareil miracle ».

Que signifie cette expression? Notre dignité ne dépend pas de notre état de santé, de l’absence de souffrance ou de la valeur que nous reconnaît la société. La vie de toute personne possède une valeur et une dignité uniques et inhérentes que ne modifient jamais les circonstances de la vie. Je pense que la dignité de la personne très malade, en phase terminale, lourdement handicapée, est le mieux respectée par le souci amical et l’écoute compréhensive. De telles attitudes permettent au malade d’entrevoir sa mort avec sérénité, dans la paix. N’est-ce pas cela, une mort dans la dignité ?

Est-ce que la légalisation de l’euthanasie et du suicide assisté ne risque pas de servir comme exutoire à nos émotions et nos peurs devant la souffrance, le handicap grave et la mort? Et alors ne serait-ce pas une solution de facilité, réduite à des dimensions techniques, pour une situation humaine qui nous confronte tous et toutes à notre propre destin, à notre liberté et à notre fragilité? En fait, quel impact une telle loi risque-t-elle d’avoir sur ma propre vie fragile et qui un jour me conduira devant ma mort? Et quel impact va-t-elle provoquer sur mes relations avec les personnes proches de moi, toutes aussi fragiles et qui risquent un jour de me demander de leur donner la mort ou de leur aider à se la donner?

Qu’est-ce qui arrive après la mort?
En somme, cette question du suicide assisté et de l’euthanasie ne peut pas se réduire à une question légale. Albert Camus demandait « de ne pas se dérober à l’implacable grandeur de cette vie ». Et Jacques Attali a écrit : « Nos sociétés sont de plus en plus fondées sur l’éphémère, privilégiant le court terme et l’immédiat, laissant devant un vide total face à la seule question qui le concerne : qu’est-ce qui arrive après la mort? ». Cette question vertigineuse. Finalement une réponse est seule capable de vraiment éclairer ce dont notre société débat ici, et qui nous concerne tous et toutes, tant dans notre présent que dans notre avenir. Et des propositions sérieuses et positives de réponses existent. Cette question mérite donc une très sérieuse réflexion, branchée sur notre vécu quotidien et notre destin humain.

† Roger Ébacher
Évêque émérite de Gatineau

vendredi 11 novembre 2011

Mes dernières semaines avant ma retraite

Le 1er décembre, je serai à la retraite pour vrai. Certes, le Pape a accepté le 12 octobre la démission que je lui ai envoyée à l’âge de 75 ans, comme me le demande de Droit Canonique de l'Église. Mais j’ai été élu administrateur diocésain de Gatineau en attendant l’arrivée de notre nouvel évêque, Mgr Paul-André Durocher, le 30 novembre 2011.

Entretemps, beaucoup de personnes et de groupes du diocèse ont voulu me dire leurs remerciements, échanger avec moi sur ce que nous avons vécu durant ces 23 ans de mon service épiscopal ici et prendre le temps de partager un repas. J’apprécie ces marques d’affection, de soutien et aussi toutes ces occasion de me donner de bons conseils pour m’aider à trouver mon chemin dans cette retraite toute proche et encore mystérieuse pour moi.

Je note en particulier la célébration d’action de grâce du 1er novembre vécue à la cathédrale de Gatineau. Elle fut particulièrement bonne pour mon coeur. J’ai apprécié célébrer avec une assemblée aussi nombreuse, chaleureuse, variée, qui représentait bien les divers aspects de la vie diocésaine. Merci à toutes les personnes présentes et à celles qui auraient voulu venir mais qui en furent empêchées.

On m’a alors laissé beaucoup de dons très généreux. Il m’est impossible de remercier chaque personne individuellement. Je veux donc par ce mot remercier les donatrices et donateurs aussi généreux et les communautés qui ont ainsi manifesté leur attachement à notre diocèse et à ma personne. Dans de très belles cartes de souhaits bien formulés, plusieurs m’ont invité à me servir de ces cadeaux pour un repos, un voyage ou d’autres projets. Une fois à ma retraite, je penserai à vous toutes et tous, avec grande reconnaissance, quand je me souviendrai de cette soirée et que j’utiliserai les dons pour continuer à vivre dans la joie, l’espérance et le rayonnement de l’Évangile.

Les trois évêques des diocèses suffragants (Amos, Rouyn-Noranda et Mont-Laurier) Mgr Gilles Lemay, Mgr Dorylas Moreau et Mgr Vital Massé ainsi que Mgr Terrence Prendergast archevêque d‘Ottawa se sont joints à nous pour cette imposante célébration. A la fin de la messe, j’ai entendu des mots très touchants de remerciements prononcés respectivement par l’Archevêque d’Ottawa, par l’abbé Rodhain Kasuba Malu, représentant le clergé, par Sœur Denise Blouin et Lucie Bacon, agentes de pastorale, par M. Tom Miles, représentant la communauté anglophone et par M. Pierre-Paul Périard, au nom des conseils de fabrique.

Mgr Prendergast a notamment souligné le fait que j’ai présidé à la rédaction du document : De la souffrance à l’espérance, où nous avons pu formuler les premières lignes de conduite catholiques au monde sur la prévention et la lutte contre les abus sexuels. Pour sa part, l’abbé Kasuba Malu a nommé mon souci d’assurer une coresponsabilité dans la mission entre les baptisés et les pasteurs. Il a aussi signalé la confiance dont j’ai cherché à faire preuve envers mes divers collaborateurs et collaboratrices, prêtres, religieux et religieuses, communautés paroissiales et autres, multiples personnes laïques engagées dans tous les champs de la vitalité de notre Église et du monde de l’Outaouais. Les deux agentes de pastorale ont voulu me lire un acrostiche présentant avec humour mon caractère et mon engagement dans le milieu. Les représentants des communautés anglophones et des fabriques ont dit ma présence dans tous les milieux du diocèse durant ces années. Merci à tous et toutes.

Je veux ici remercier aussi tous les journalistes qui, dans les médias régionaux ou même nationaux, m’ont permis de rejoindre les gens d’ici et d’ailleurs. Je leur en suis reconnaissant. Car je sais que leur boulot n’est pas toujours facile. Ils doivent souvent faire vite pour être prêts au moment de la tombée des nouvelles pour le prochain bulletin. J’ai apprécié leur souci de rendre honnêtement les messages qu’ils recueillaient de moi. Ils rendent un précieux service à notre population par leur fidélité à traduire en termes simples et en images la vie d’ici.

Qu’est-ce que je souhaite laisser comme héritage, suite à mes travaux ici? J’ai aimé proclamer : « Toi, tu n’es pas un numéro, perdu dans la foule anonyme. Dieu t’aime personnellement. » Je serais très heureux si beaucoup gardaient la conviction intime et vitale dans leur cœur que Dieu les aime personnellement, avec une fidélité que rien ne peut rompre de sa part.

Le 30 novembre, je quitterai donc ce poste de responsabilité avec dans le cœur de beaux souvenirs de ces années vécues dans le quotidien des joies et des peines d’une Église qui est bien vivante, dynamique, porteuse de la vitalité évangélique, proche des personnes appauvries et des jeunes. Merci à toutes et tous pour m’avoir permis de telles expériences de vie qui me resteront toujours précieuses à l’avenir, quel que soit le chemin que l’Esprit-Saint voudra bien m’inviter à fréquenter.

† Roger Ébacher
Évêque émérite de Gatineau

dimanche 6 novembre 2011

Un retour à mes racines abitibiennes

J’ai récemment pu faire une brève visite à Amos. C’est le lieu de ma naissance et c’est dans cette petite ville et dans la région environnante que j’ai vécu jusqu’à l’âge de 42 ans.

J’ai retrouvé la maison où j’ai vu le jour. C’est maintenant mon jeune frère qui l’habite. Elle a été bâtie en 1935 par mon père et mes oncles. C'était pour mes parents une belle amélioration car depuis leur mariage en 1921 ils vivaient dans une maison en bois ronds. J’ai été le premier des enfants à naître dans cette maison, le 6 octobre 1936. Ma mère reçut alors l’assistance d’une femme du rang devenue une sage-femme par la force des exigences de la vie. J’ai été chanceux de survivre aux périls qui menaçaient les enfants alors, ces maladies infantiles qui ont emporté cinq de mes frères et sœurs dans leur toute petite enfance.

Je nous revois le soir autour de la petite lampe à l’huile. Nous n’avions ni électricité, ni eau courante, ni bain, ni toilette intérieure. Je revois le vieux puits où nous descendions les bidons de crème pour que le contenu se conserve jusqu’au ramassage une fois par semaine. Je me rappelle la première fois que j’ai entendu une radio fonctionnant avec des piles et que j’ai entendu sonner un téléphone, ce mystérieux appareil.

Ce n'est pas sans émotions qu’on revient ainsi à ses racines! Toutefois, mes sentiments furent vite mêlés : souvenirs de tant de moments heureux mais aussi de peines et de difficultés! Je fus élevé sur cette petite ferme et j’ai travaillé avec mon père et mes frères à traire les vaches, à ramasser le foin en été durant mes vacances. Et j’ai vite compris que ma vocation n’était pas d’être un fermier. J’aimais trop faire des mots croisés à la lumière pâlotte du poêle à bois le matin très tôt, avant que les autres ne se lèvent et je ne me hâtais pas à aller travailler à l’étable. Je préférais lire des petits romans policiers appuyé sur une botte de foin au lieu de le ramasser à la petite fourche et de le charger sur la voiture traînée par deux gros chevaux.

L’asphalte couvre maintenant le gravier du chemin passant devant la maison. La petite école du rang est disparue. Bien des maisons furent bâties dont je ne connais pas les habitants. Est-ce encore mon rang? Mais je n'y ai pas vécu longtemps en fait. Dès l’âge de 12 ans j’ai quitté ma famille pour le Séminaire d’Amos. Ce n’était pas loin de la ferme, seulement à 5 milles, mais faire le voyage avec la voiture traînée par les chevaux était long. J’étais pensionnaire. À chaque dimanche mon frère ou ma sœur passait au collège pour prendre mon linge à laver et rapportait le linge propre. Je m’y suis beaucoup ennuyé. Certes, ca allait bien dans les études. Mais je n’étais ni sportif, ni très social! Alors, ce temps du Collège fut pour moi difficile. J’apprécie toutefois garder le contact avec mes confrères d’étude d’alors.

Ordonné prêtre le 27 mai 1961, il y a donc 50 ans, je suis revenu au Collège, pensant y enseigner toute ma vie. Et j’ai eu la chance de me spécialiser en philosophie à l’Université Laval et à l’Institut catholique de Paris. Mais dès 1967, la décision prise de ne pas avoir de CEGEP à Amos a changé mon destin, a fait dévier, aujourd’hui je dirais a orienté droitement, mon chemin. J’ai vécu pendant des années à l’évêché d’Amos, travaillant dans les paroisses avec les prêtres et beaucoup de laïcs. J’y ai appris mon vrai métier, celui de pasteur. J’ai passé les quelques nuits de ma récente visite dans cette chambre où j’ai tellement lu, écrit, rêvé, créé des projets de toutes sortes. Ce furent des jours heureux.

J’ai revu l’impressionnante cathédrale d’Amos avec son dôme dominant toute la campagne environnante. C’est là que j’ai été baptisé, que j’ai vécu ma première confession (et bien d’autres par après), ma confirmation, ma première communion. J’y fus le curé de mes parents et de tant de personnes connues, leur offrant la Parole, les sacrements, une présence pastorale. Ce fut un bon temps d’apprentissage.

Nommé évêque, j’ai vécu le tournant de l’Abitibi vers la Côte-Nord, puis vers l’Outaouais. Un autre tournant est devant moi : celui de ma retraite.  J’espère que je saurai le négocier avec cœur, rêver de nouvelles créativités, chercher de nouvelles relations dont j’ai besoin pour m’enrichir et partager encore quelque chose de ces expériences qui vivent toujours dans mon cœur.

† Roger Ébacher
Évêque émérite de Gatineau