mercredi 30 mai 2012

Le désir qui fait marcher

Je regardais l’autre jour un tout jeune enfant. Depuis quelque temps, il se déplace en se trainant par terre. Mais il est fasciné par des tiroirs qu’il voudrait bien ouvrir. Il tend à se lever, à marcher pour mieux atteindre des choses qui l’attirent et surtout sa mère qui va et vient autour de lui. C’est le désir de se faire proche, de saisir qui le pousse à cet audacieux geste : se lever et marcher.

Et qu’est-ce qui pousse ces milliers de personnes, au cours de l’été, à marcher vers toutes sortes de lieux : un sanctuaire, un point d’eau, le tour d’un lac, un lieu de silence ou de rencontres? Quels sont donc ce désir, cet élan, ce dynamisme incrustés dans l’être humain? Il me semble que c’est une soif, une insatisfaction profonde, une sorte de vide qui cherche à s’emplir, à se satisfaire, à se calmer, à se reposer.

En relisant l’Évangile de saint Jean, je suis frappé par son vocabulaire : il parle continuellement de la marche. « Viens et vois! » Et il nous montre un centurion royal hanté par la maladie de son enfant se mettre en marche vers Jésus. Et que dire de cette Samaritaine en marche vers le puits, puis en marche, en fait à la course, vers les siens pour leur dire qui a satisfait sa soif de reconnaissance, d'amour.

Les évangiles me mettent devant le mystère qui provoque toutes ces marches, ces courses. On y voit Jésus sans cesse appeler à lui. Il affirme même que lorsqu’il sera élevé sur la croix, il attirera tous les humains qui voudront bien consentir à cet attrait.

Et depuis deux mille ans, des milliards de personnes ont marché et marchent vers ce Cœur ouvert d’où jaillissent sang et eau pour nous désaltérer. Quel merveilleux mystère! Mais même nos sources cachées sous le boisé ou encore nos humbles lieux d’accueil dans le silence ou le chant peuvent évoquer ce mystère de l’attrait le plus intime de nos cœurs.

Quelles soifs nous tiraillent? Quelle soif tiraille Dieu? Car c’est lui qui dit à la Samaritaine : « Si tu savais qui te demande à boire…..! » Quelle soif d’aimer et d’être aimé?

Je me trouve devant le mystère d’un attrait mutuel entre Dieu et moi, et chaque être humain. Mon défi est de reconnaitre la générosité gratuite de la source et de consentir à accueillir son don.

† Roger Ébacher
Évêque émérite de Gatineau

vendredi 25 mai 2012

Les chemins qui marchent

Tel est le thème d’un triple pèlerinage par lequel l’archidiocèse de Gatineau prépare la célébration de son jubilé qui marquera ses 50 ans d’existence.  C’est une formule originale qui permettra de parcourir en trois ans une grande partie du territoire diocésain. Cette marche en sera cette année à sa deuxième étape.

On se rappelle la parole de Blaise Pascal : « Les rivières sont des chemins qui marchent et qui portent où l’on veut aller.»  C’est là une image très évocatrice de notre histoire. Ici, les rivières ont été les premiers chemins qui ont permis aux personnes de se déployer sur le territoire, de se rencontrer, de faire les voyages pour le commerce, les loisirs et que sais-je. Aujourd’hui, avec nos ponts si souvent encombrés, il nous est parfois difficile de saisir à quel point ces rivières ont été des liens efficaces et rapides pour l’époque. Elles ont marché pour la guerre et pour la paix, pour le commerce et pour la drave, pour la recherche de l’autre et pour sa fuite.

On peut aussi continuer la réflexion et nous souvenir que Jésus s’identifie lui-même au chemin : « Je suis le chemin, la vérité, la vie ». Et il a sans cesse marché durant son court ministère. Il a entrainé des disciples à sa suite. Et il leur a dit de continuer après lui cette marche porteuse de Bonnes Nouvelles à disséminer sur toutes les routes du monde jusqu’aux confins de la terre et jusqu’à la fin des siècles. Lui-même ressuscité conduira celles et ceux qui s’attachent à ses pas jusqu’aux sources de la vie.

Puis avant de les quitter, il leur a promis, puis donné l’Esprit qui les guidera à la vérité tout entière. Jésus a été le guide des siens. L’Esprit continuera le même rôle. Il sera pour les personnes qui accepteront son souffle, qui seront sensibles à sa subtile présence un chemin qui les fera cheminer vers une interprétation de leurs propres vies et des événements du monde dans la lumière de Celui qui est la Lumière du monde.

En somme, cette idée des chemins qui marchent peut nous conduire loin dans l’approfondissent de notre foi. Notre espérance et notre amour entrent aussi par les pieds, par la solidarité silencieuse de la marche, par l’accueil mutuel et le soutien dans le cheminement, par la réception des communautés sur le bord de la route.

Bonne marche!

† Roger Ébacher
Évêque émérite de Gatineau

dimanche 20 mai 2012

Le silence dans le processus de communication

C’est le sujet de Benoît XVI a voulu traiter dans son message pour la Journée mondiale 2012 des communications sociales. Thème surprenant! Est-ce que communication et silence ne se contredisent pas? Laissons-nous interroger par quelques affirmations prises de ce message.

« Silence et parole sont deux moments de la communication qui doivent s'équilibrer, se succéder et se compléter pour parvenir à un dialogue authentique et à une profonde proximité entre les personnes. Lorsque parole et silence s'excluent mutuellement, la communication se détériore, soit parce qu’elle provoque un certain étourdissement, soit au contraire parce qu’elle crée un climat de froideur ; lorsque, en revanche, ils se complètent harmonieusement, la communication acquiert valeur et cohérence. »

Et le pape explique que le silence fait partie intégrante de la communication : sans lui aucune parole riche de sens ne peut exister. Car c’est dans le silence que nous écoutons et que nous nous connaissons mieux nous-mêmes ; dans le silence, que la pensée naît et s’approfondit, que nous comprenons avec une plus grande clarté ce que nous voulons dire ou ce que nous attendons de l'autre.

Et il remarque que se taire permet à l'autre personne de parler, de s’exprimer. Ainsi s’ouvre un espace d’écoute mutuelle et une relation humaine plus profonde devient possible. « Dans le silence, par exemple, se saisissent les instants les plus authentiques de la communication entre ceux qui s'aiment : le geste, l'expression du visage, le corps comme signes qui révèlent la personne. Dans le silence, la joie, les préoccupations, la souffrance parlent et trouvent vraiment en lui une forme d'expression particulièrement intense ».

« Là où les messages et l'information sont abondants, le silence devient essentiel pour discerner ce qui est important de ce qui est inutile ou accessoire. Une réflexion profonde nous aide à découvrir la relation existante entre des événements qui à première vue semblent indépendants les uns des autres, à évaluer, à analyser les messages; et cela permet de partager des opinions pondérées et pertinentes, donnant vie à une connaissance authentique partagée. Il est donc nécessaire de créer une atmosphère propice, comme une sorte d'« écosystème » qui sache équilibrer silence, parole, images et sons ».

C’est là certes une piste qui mérite d’être examinée afin de voir ce qu’elle peut nous ouvrir de perspectives en cette ère de la surabondance de mots et d’images.

† Roger Ébacher
Évêque émérite de Gatineau

mercredi 16 mai 2012

À la retraite!

Plusieurs se demandent et me demandent ce que peut bien faire un évêque à la retraite. La réponse la plus vraie est de vous raconter brièvement ce que je fais de ce temps qui m’est accordé depuis le 1er décembre 2011.

Je me suis rappelé récemment le commentaire du philosophe Jacques Maritain sur le travail et le loisir : «Le travail humain n’a pas sa fin en lui-même, il est pour le repos, le loisir actif, celui de la culture de l’esprit et du cœur, de la joie de connaître, des délectations spirituelles offertes par l’art et la beauté, et des enthousiasmes généreux dont se nourrissent l’amour désintéressé, la compassion et la communion, le zèle de la justice, le dévouement à la cité et à la famille humaine ».

Le jour où le travail ne nous accapare plus, le repos, le loisir actif, le goût du service gratuit peuvent se développer. C’est ce que j'expérimente en ces premiers mois dans cette nouvelle vie.

Au début de ma retraite, je pensais bien avoir beaucoup de temps pour me reposer. Mais on m’a vite sollicité pour rédiger un texte assez long, qui fera partie d’un volume à paraître à l'automne. Comme je n’ai pas encore appris à dire « non » et à sélectionner mes engagements, celui-ci a pris deux mois et demi de mon temps.

Puis j’ai été sollicité à assurer une présence bénévole à l’Université St-Paul, à titre de « pasteur en résidence ». J’y ai commencé à la mi-février. Mais la fin des cours approchait, ce qui a accaparé les gens. Je n’ai donc pas encore expérimenté ce que cette présence signifiera. Je verrai mieux à l’automne.

À chaque fin de semaine, je suis demandé pour aller dans une paroisse où l’autre pour y rendre service. Ces engagements dans des communautés priantes me plaisent. J’y retrouve des personnes connues. De plus, à chaque matin sur semaine je célèbre la messe dans notre petite chapelle avec plusieurs personnes, ce qui entretient ma vie de prière.

Le temps de la retraite peut être un temps de « retrait » : un temps où on s’adonne plus intensément à la prière. Je m’y exerce même si c’est parfois difficile, après une vie aussi active, de me concentrer dans des moments de silence et de consécration à ce Dieu à la fois si mystérieux et si proche. La Parole de Dieu donnée généreusement à chaque liturgie quotidienne m’y est d’un précieux secours et stimulant.

Je vis dans une maison où il y a beaucoup d’appartements. C’est donc un  lieu qui permet et même provoque de multiples rencontres. Écouter, consoler, encourager, soutenir, aider par mille petits gestes : voilà une bonne partie de ma vie quotidienne. Et puis quelques personnes amies me permettent diverses rencontres gratuites, amicales, pour d’humbles mais fraternelles fêtes.

Et je peux enfin assouvir un peu ma soif de mieux connaître la Bible. J’en profite donc pour lire de gros commentaires. De ce temps-ci, je suis dans un commentaire de l’évangéliste Jean. Je me prépare ainsi en même temps pour des retraites que je prêcherai dans certaines communautés religieuses dans les prochains mois.

En somme, à la retraite, la vie est variée pour moi. Non, je n’ai vraiment pas le temps de m’ennuyer, sauf parfois certains soirs que je trouve un peu long car je ne suis pas un adepte de la télévision. Mais c’est rare!

† Roger Ébacher
Évêque émérite de Gatineau

dimanche 13 mai 2012

Les nobles beautés de la nature


Ces jours-ci, j’ai vu des tulipes toutes épanouies. L’air s’imprègne de multiples parfums et les parterres de bigarrées beautés. Le ciel est strié par les outardes, les canards et tant d’autres oiseaux qui travaillent en chantant à faire leurs nids et ainsi bâtissent l’avenir. Les glaces sont parties. La nature se pare de beautés et de multiples splendeurs. Une vitalité émouvante éclate sous nos yeux et sur nos chemins.

Le grand mystique et poète Jean de la Croix a perçu dans ces splendeurs des traces du passage rapide de Dieu. Et il décrit avec un art émouvant ce qu’il en perçoit.

« C’est en répandant mille grâces qu’il est passé à la hâte par ces bocages. En les regardant et de sa figure seule Il les a laissés revêtus de beauté. Les créatures sont comme un vestige du passage de Dieu où l’on entrevoit sa grandeur, sa puissance, sa sagesse et autres vertus divines. Il est passé à la hâte, car les créatures sont les œuvres inférieures de Dieu; il les a créées comme en passant : car les grandes œuvres de sa main, celles où il se montre davantage et où il a apporté plus d’attention, sont l’Incarnation du Verbe et les mystères de la foi chrétienne; si on les compare, toutes les autres œuvres ont été créées comme en passant et en hâte ».

Dans ce magnifique poème, le grand mystique se tourne vers des créatures pour « s'acheminer par là à la connaissance de son Ami qui est leur créateur". Car, comme le dit saint Paul, "ce que Dieu a d'invisible se laisse connaitre à travers ses œuvres ».

Ce qui touche son âme, c'est que cet univers si riche et si divers sorte tout droit de Dieu. Jean de la Croix est très sensible à ce rapport immédiat entre Dieu et sa création qu'il exprime souvent avec la métaphore de la source : Je sais bien la source qui jaillit et fuit bien que de nuit. Je sais qu'il n'est nulle chose si belle et que cieux et terre s'abreuvent d'elle bien que de nuit. 

C'est d'une multitude de belles créatures que Dieu a rempli le monde. Mais on peut dire qu'elles sont les moindres de ses œuvres si l'on se tourne vers le sommet de sa création : l'homme en qui son Fils s'est incarné. Oui, comme s’exclame un chant à la gloire du créateur: « Que tes œuvres sont belles, que tes œuvres sont grandes… »

† Roger Ébacher
Évêque émérite de Gatineau

samedi 5 mai 2012

Beauté et bonté de notre univers

Le regard biblique sur notre planète et tout ce que nous découvrons de plus en plus dans ses environs et jusqu’aux confins que scrutent toujours plus profondément nos puissants télescopes nous étonnent. Nous jettent aussi dans l’admiration ce que nos yeux, et puis nos microscopes nous dévoilent de ce monde que nous risquons de banaliser, mais qui est tellement merveilleux.

Ce regard ébloui sur notre univers n’est pas nouveau. Un magnifique psaume le célèbre: « Alleluia! Rendez grâce au Seigneur, car il est bon, car éternel est son amour! Rendez grâce au Dieu des dieux, car éternel est son amour!  Rendez grâce au Seigneur des seigneurs, car éternel est son amour! Lui seul a fait des merveilles, car éternel est son amour! Il fit les cieux avec sagesse, car éternel est son amour! Il affermit la terre sur les eaux, car éternel est son amour! Il a fait les grands luminaires, car éternel est son amour! Le soleil pour gouverner sur le jour, car éternel est son amour!  La lune et les étoiles pour gouverner sur la nuit, car éternel est son amour! » (Psaume 136, versets 1 à 9).

L’hiver se termine et disparaissent ses fragiles, mais si belles dentelles de frimas, ses sculptures façonnées par les grands vents, ses douceurs des merveilleuses nuits étoilées. Le printemps nous éblouit par sa fécondité, sa générosité, sa soudaineté. Tout semble ressusciter. La chaleur d’un soleil retrouvé, un peu de pluie et les oiseaux reviennent, les fleurs apparaissent, les promesses de l’été sont déjà là, nous en devinons les fruits de l’automne.

Exerçons notre œil à voir la source de toutes ces éblouissantes fécondités. « Éternel est son amour ».  Dieu s’y révèle fertilité sans bornes, tendresse débordante, générosité qui ne se satisfait jamais de ce qui est déjà donné, beauté qui touche nos sens et nos cœurs, bonté et tendresse traduites par ce vent doux, la pluie qui apporte espérances et joie.  Oui « À toute chair il donne le pain, car éternel est son amour! Rendez grâce au Dieu du ciel, car éternel est son amour! » (Versets 25-26)

Et nous, que faisons-nous de cette terre, de ce don qui nous est confié pour qu’il soit transmis en héritage aux générations à venir? La transformons-nous en richesses à exploiter et accaparer sans égard pour ce qui viendra après? Que faisons-nous de toutes ces nourritures généreusement données? N’y voyons-nous que biens à exploiter au détriment des personnes qui déjà meurent de faim par millions alors que nous gaspillons tellement? Prenons-nous soin de l’héritage qui nous est confié comme à de bons gérants qui doivent rendre compte de leur administration devant l’histoire et devant Dieu? Ce sont des gouttes d’eau qui finalement alimentent les océans. Ce sont de petits gestes à notre portée qui changeront notre gaspillage en souci de la fraternité mondiale et de la vie si copieusement donnée.

† Roger Ébacher
Évêque émérite de Gatineau

mardi 1 mai 2012

La formidable puissance des mass médias

Les analystes de notre société parlent de la « révolution de l’ère numérique ». Ils évaluent que c’est là un phénomène qui nous touche toutes et tous en profondeur, habituellement  sans que nous en ayons une claire conscience. Car ces médias sont partout, façonnant même  les personnes qui ne sont pas « branchées ».

Le pape Benoît XVI me semble avoir bien formulé certaines dimensions de ce phénomène au début de son message du 5 mai 2011 pour la 45ième Journée mondiale des communications sociales. Son analyse me stimule à réfléchir plus sur ce que ce phénomène provoque en moi, dans mon milieu, dans notre société et dans notre Église, en somme sur toute notre planète. En voici quelques lignes qui décrivent à quelle profondeur nous sommes touchés par cette révolution.

« La conviction est toujours plus répandue que, comme la révolution industrielle produisit un profond changement dans la société à travers les nouveautés introduites dans le cycle de production et dans la vie des travailleurs, ainsi, aujourd'hui, la profonde transformation en acte dans le champ des communications guide le flux de grands changements culturels et sociaux. Les nouvelles technologies ne changent pas seulement le mode de communiquer, mais la communication en elle-même. On peut donc affirmer qu'on assiste à une vaste transformation culturelle. Avec un tel système de diffusion des informations et des connaissances, naît une nouvelle façon d'apprendre et de penser, avec de nouvelles opportunités inédites d'établir des relations et de construire la communion. »

Puis le pape ajoute une évocation du but de tels moyens de communication : «  Comme tout autre fruit de l’ingéniosité humaine, les nouvelles technologies de la communication doivent être mises au service du bien intégral de la personne et de l'humanité entière. Sagement employées, elles peuvent contribuer à satisfaire le désir de sens, de vérité et d'unité qui reste l'aspiration la plus profonde de l'être humain. […] Cette dynamique a contribué à une appréciation renouvelée de la communication, considérée avant tout comme dialogue, échange, solidarité et création de relations positives. »

Ces technologies sont une autre merveilleuse création du génie humain, sans cesse à la recherche de l’actualisation de ses immenses potentialités de renouvellement de notre vie personnelle, sociale et même planétaire. Certes, les risques de dérapage ne manquent pas! Et le Pape en nomme quelques-uns : « la partialité de l'interaction, la tendance à communiquer seulement quelques aspects de son monde intérieur, le risque de tomber dans une sorte de construction de l'image de soi qui peut conduire à l’auto complaisance. »  Ces canaux offrant une communication de plus en plus personnalisée et ouverte à la rétroaction posent en fait la question de notre désir de l’authenticité de notre être et de la vérité de notre ouverture aux autres. C’est un beau défi qui peut provoquer une expression positive et constructive de notre dynamisme humaine profond.

† Roger Ébacher
Évêque émérite de Gatineau