samedi 29 octobre 2016

Tentations et défis du disciple-missionnaire

Ce qui caractérise un disciple-missionnaire, c’est l’Esprit Saint en lui, qui l’éclaire, le dirige dans le discernement de son propre cœur et des réalités ecclésiales ou mondaines qui l’entourent. Le disciple-missionnaire est branché sur Jésus ressuscité qui par Esprit ouvre son cœur à l’amour, au don de soi. La source actuelle de son action, c’est bien sa relation intime, soutenue, consciente avec son Seigneur, celui qui a donné sa vie pour le monde, celui qui continue par ses disciples son œuvre de salut.
 
Le pape François interroge avec amour et audace tout disciple-missionnaire sur la qualité de sa vie spirituelle, sur les obstacles à l’épanouissement de sa vie intérieure et à son rayonnement dans le monde qui l’entoure.
 
Son mot d’ordre est : « Oui au défi d’une spiritualité missionnaire. » (EG 78) Il pointe chez le disciple-missionnaire une préoccupation exagérée pour les espaces personnels d’autonomie et de détente. Les tâches missionnaires deviennent alors un simple appendice de sa vie, comme si elles ne faisaient pas partie de son identité. « En même temps, la vie spirituelle se confond avec des moments religieux qui offrent un certain soulagement, mais qui ne nourrissent pas la rencontre avec les autres, l’engagement dans le monde, la passion pour l’évangélisation. Ainsi, on peut trouver chez beaucoup d’agents de l’évangélisation, bien qu’ils prient, une accentuation de l’individualisme, une crise d’identité et une baisse de ferveur. Ce sont trois maux qui se nourrissent l’un l’autre. »
 
Le risque est aussi de développer un complexe d’infériorité, qui conduit à relativiser ou à occulter mon identité chrétienne et mes convictions. J’entre alors dans un cercle vicieux : n’étant pas heureux de ce que je suis et de ce que je fais, ne m’identifiant pas à la mission évangélisatrice, mon engagement s’affaiblit. La joie de la mission est étouffée par une obsession pour être comme tous les autres et pour avoir ce que les autres possèdent.
 
Le pape signale un autre piège, celui d’un relativisme pratique qui « consiste à agir comme si Dieu n’existait pas, à décider comme si les pauvres n’existaient pas, à rêver comme si les autres n’existaient pas, à travailler comme si tous ceux qui n’avaient pas reçu l’annonce n’existaient pas. » (EG 80) Et le pape exhorte : « Ne nous laissons pas voler l’enthousiasme missionnaire! »
 
Comment résister à ce vol? En concentrant mon cœur sur Jésus mort et ressuscité, en lui redisant avec cœur ma foi, mon amour, mon désir de le suivre, d’agir avec lui pour le salut de notre monde, ce monde chéri par Dieu le Père et habité par l’Esprit qui y travaille le cœur des humains.
 
(13e texte d’une série sur La joie de l’Évangile)
† Roger Ébacher
Évêque émérite de Gatineau

dimanche 23 octobre 2016

Privilégier le cœur de l’Évangile

Le disciple-missionnaire ne se noie pas dans une multitude d’aspects qu’il peut trouver en lisant l’Écriture sainte. Il ne se laisse pas fasciner par des aspects secondaires du message de Jésus. Il concentre son attention, sa vie, son témoignage, son message sur « le cœur essentiel de l’Évangile qui lui confère sens, beauté et attrait. » (EG 34)
 
Ce principe vaut d’abord pour le développement de ma propre vie spirituelle. Je dois m’y concentrer sur Jésus mort et ressuscité nous guidant par son Esprit. Il est le chemin vers le Père, le chemin vers mon prochain, surtout vers ce prochain que je peux craindre à cause de ses blessures de toutes sortes.
 
Celui que sainte Marie de l’Incarnation appelle « Le suradorable Verbe incarné », Jésus vrai Dieu et vrai homme, dans le mystère du don de sa vie doit être le centre de ma vie de disciple. C’est à partir de ce cœur de ma vie que je pourrai devenir un disciple-missionnaire crédible.
 
Le pape François explique bien cette réalité : « Une pastorale en terme missionnaire n’est pas obsédée par la transmission désarticulée d’une multitude de doctrines qu’on essaie d’imposer à force d’insister. Quand on assume un objectif pastoral et un style missionnaire, qui réellement arrivent à tous sans exceptions ni exclusions, l’annonce se concentre sur l’essentiel, sur ce qui est plus beau, plus grand, plus attirant et en même temps plus nécessaire. La proposition se simplifie, sans perdre pour cela profondeur et vérité, et devient ainsi plus convaincante et plus lumineuse. » (EG 35)
 
Quel est donc ce cœur de l’Évangile, que je dois toujours garder dans mon cœur pour en témoigner avec vérité et conviction? Quel trésor contient-il, cache-t-il, que je dois découvrir pour pouvoir l’offrir aux autres? « Dans ce cœur fondamental [de l’Évangile] resplendit la beauté de l’amour salvifique de Dieu manifesté en Jésus Christ mort et ressuscité. » (EG 36)
 
« L’Évangile invite avant tout à répondre au Dieu qui nous aime et qui nous sauve, le reconnaissant dans les autres et sortant de nous-mêmes pour chercher le bien de tous. […] Si cette invitation ne resplendit pas avec force et attrait, l’édifice moral de l’Église court le risque de devenir un château de cartes, et là se trouve notre pire danger. Car alors ce ne sera pas vraiment l’Évangile qu’on annonce, mais quelques accents doctrinaux ou moraux qui procèdent d’options idéologiques déterminées. Le message courra le risque de perdre sa fraîcheur et de ne plus avoir “le parfum de l’Évangile”. » (EG 39)
 
Être disciple-missionnaire, c’est me tenir devant le cœur ouvert de Jésus en croix, en percevoir sa tendresse, ma miséricorde, en être bouleversé dans mes entrailles et témoigner de cet amour. « Dieu, en effet, a tant aimé le monde qu'il a donné son Fils, son unique, pour que tout homme qui croit en lui ne périsse pas mais ait la vie éternelle. Car Dieu n'a pas envoyé son Fils dans le monde pour juger le monde, mais pour que le monde soit sauvé par lui. » (Jn 3,16-17)
 
Être disciple-missionnaire, c’est montrer par ma vie la vérité de cet amour fou encore en action dans notre monde.
 
(12e texte d’une série sur La joie de l’Évangile)
† Roger Ébacher
Évêque émérite de Gatineau

dimanche 16 octobre 2016

Un trésor à partager

Qu’est-ce qui est le plus important, le plus précieux dans ma vie? Quel est le centre de mon cœur, ce qui me motive, me donne joie et élan?
 
Je désire que ce soit de plus en plus, toujours plus, Jésus Ressuscité, qui a donné sa vie pour moi et qui continue à m’offrir son Esprit qui est vie éternelle.
 
Il a dit : « Vous êtes mes amis ». Je désire que cette parole soit de plus en plus vraie pour moi et que je sache et j’ose présenter Jésus aux personnes de mon entourage, pour qu’il les invite eux aussi à devenir ses amis.
 
Voilà le secret caché dans l’Évangile : il me choisit, il m’appelle, il m’envoie. Et il ajoute : « Ne crains pas! Je suis avec toi par mon Esprit! En fait, tout ce que je te demande, c’est de consentir à ce que j’œuvre par toi dans ton monde, dans notre monde. Je te demande d’être mon partenaire. Alors, va! Il y a tant de personnes qui ne se savent pas aimées! »
 
Il me demande de le suivre, de faire comme lui, de « sortir » de moi-même, de dépasser mon égoïsme, d’aller vers les personnes qui sont seules, qui peinent, qui portent blessures et mépris. Il veut que je sois avec lui un pèlerin qui passe en faisant du bien, en somme un missionnaire.
 
Le pape François emploie fréquemment l’expression : disciple-missionnaire. Que veut-il signifier par cela? Par mon baptême, je suis missionnaire. La mission fait partie de mon identité même de chrétien. « La mission au cœur du peuple n’est ni une partie de ma vie ni un ornement que je peux quitter, ni un appendice ni un moment de l’existence. Elle est quelque chose que je ne peux pas arracher de mon être si je ne veux pas me détruire. Je suis une mission sur cette terre, et pour cela je suis dans ce monde. Je dois reconnaître que je suis comme marqué au feu par cette mission afin d’éclairer, de bénir, de vivifier, de soulager, de guérir, de libérer. Là apparaît l’infirmière dans l’âme, le professeur dans l’âme, le politique dans l’âme, ceux qui ont décidé, au fond, d’être avec les autres et pour les autres. Toutefois, si une personne met d’un côté son devoir et de l’autre sa vie privée, tout deviendra triste, et elle vivra en cherchant sans cesse des gratifications ou en défendant ses propres intérêts. » (EG 273)
 
Par tout mon être de baptisé, de disciple, je suis une mission! Quelle affirmation bouleversante, à longuement méditer! Je demande ce regard sur moi-même et sur le monde, regard du disciple-missionnaire éclairé et affermi par l’Esprit Saint. (EG 50)
 
(11e texte d’une série sur La joie de l’Évangile)
† Roger Ébacher
Évêque émérite de Gatineau

lundi 10 octobre 2016

Le disciple de Jésus sort de son confort

Notre pape François sort beaucoup. Il va vers les personnes les plus blessées dans leur dignité, et même leur vie. Il va vers les lieux de désespoir tels que les prisons, les refuges pour sans-logis ou sans-patrie, les résidences pour vieillards ou malades chroniques de toutes sortes, etc. Et il rappelle à tous qu’être disciple de Jésus, c’est sortir de sa zone de confort.
 
« Dans la Parole de Dieu apparaît constamment ce dynamisme de “la sortie” que Dieu veut provoquer chez les croyants. Abraham accepta l’appel à partir vers une terre nouvelle (cf. Gn 12,1-3). Moïse écouta l’appel de Dieu : “Va, je t’envoie” (Ex 3,10) et fit sortir le peuple vers la terre promise (cf. Ex 3, 17). À Jérémie il dit : “Vers tous ceux à qui je t’enverrai, tu iras» (Jr 1, 7). »
 
Le pape nous demande d’accueillir cette impulsion de la Parole dans notre vie : « Aujourd’hui, dans cet “allez” de Jésus, sont présents les scénarios et les défis toujours nouveaux de la mission évangélisatrice de l’Église, et nous sommes tous appelés à cette nouvelle “sortie” missionnaire. Tout chrétien et toute communauté discernera quel est le chemin que le Seigneur demande, mais nous sommes tous invités à accepter cet appel : sortir de son propre confort et avoir le courage de rejoindre toutes les périphéries qui ont besoin de la lumière de l’Évangile. »  (E. G. 20)
 
Cette parole d’envoi a été prononcée sur moi à mon baptême, à ma confirmation, à mon ordination diaconale, puis presbytérale, puis épiscopale. J’ai cherché à y obéir. Mais maintenant que je suis à la retraite, que signifie-t-elle pour moi? Elle m’appelle surtout à sortir de mon égoïsme, de mes peurs et de vivre l’ouverture de cœur dans le milieu où je vis. J’ai à sans cesse chercher ce que signifie ce défi évangélique dans ma vie? Je ne dois surtout pas oublier que c’est là l’attitude qui ouvrira mon cœur à la joie promise et donnée par Jésus.
 
« La joie de l’Évangile qui remplit la vie de la communauté des disciples est une joie missionnaire. Les soixante-dix disciples en font l’expérience, eux qui reviennent de la mission pleins de joie (cf. Lc 10, 17). Jésus la vit, lui qui exulte de joie dans l’Esprit Saint et loue le Père parce que sa révélation rejoint les pauvres et les plus petits (cf. Lc 10, 21). Les premiers qui se convertissent la ressentent, remplis d’admiration, en écoutant la prédication des Apôtres “chacun dans sa propre langue” (Ac 2, 6) à la Pentecôte. Cette joie est un signe que l’Évangile a été annoncé et donne du fruit. Mais elle a toujours la dynamique de l’exode et du don, du fait de sortir de soi, de marcher et de semer toujours de nouveau, toujours plus loin. Le Seigneur dit : “Allons ailleurs, dans les bourgs voisins, afin que j’y prêche aussi, car c’est pour cela que je suis sorti” (Mc 1, 38). Quand la semence a été semée en un lieu, il ne s’attarde pas là pour expliquer davantage ou pour faire d’autres signes, au contraire l’Esprit le conduit à partir vers d’autres villages. » (E.G. 21)
 
Ce qui importe, c’est de faire confiance à la Parole évangélique, à Jésus vivant et agissant par sa Parole aujourd’hui. « L’Évangile parle d’une semence qui, une fois semée, croît d’elle-même, y compris quand l’agriculteur dort (cf. Mc 4, 26-29). L’Église doit accepter cette liberté insaisissable de la Parole, qui est efficace à sa manière, et sous des formes très diverses, telles qu’en nous échappant elle dépasse souvent nos prévisions et bouleverse nos schémas. » (E.G. 22) Comme je me réjouis quand je vois la Parole produire des fruits inattendus, sur des terrains qui semblaient peu propices!
 
« L’intimité de l’Église avec Jésus est une intimité itinérante. […] Fidèle au modèle du maître, il est vital qu’aujourd’hui l’Église sorte pour annoncer l’Évangile à tous, en tous lieux, en toutes occasions, sans hésitation, sans répulsion et sans peur. La joie de l’Évangile est pour tout le peuple, personne ne peut en être exclu. » (E.G. 23)
 
Pour vivre cette « sortie » de moi-même, il faut que je m’attache à Jésus, que j’entretienne chaque jour une intimité confiante avec celui qui m’a un jour appelé à être son ami. Ce n’est qu’avec lui que mes « sorties » seront fructueuses. Sans son Esprit, je ne saurai pas discerner quelles sont ces zones de confort que je dois délaisser pour vivre l’aventure évangélique avec celui qui m’en montre le chemin!
 
(10e texte d’une série sur La joie de l’Évangile)
† Roger Ébacher
Évêque émérite de Gatineau

samedi 1 octobre 2016

L’Église est missionnaire

Quelle est la tâche première de l’Église dans son ensemble, de chaque membre de l’Église, des divers groupes et communautés dans l’Église? Jean-Paul II y a répondu : l’Église existe pour annoncer la Bonne Nouvelle de l’Évangile à ceux qui sont éloignés du Christ. Il a insisté : « Telle est la tâche première de l’Église ». C’est aussi son plus grand défi. « La cause missionnaire doit avoir la première place ».
 
Après avoir cité ces paroles de saint Jean-Paul II, le pape François a formulé une question qui doit rejoindre nos cœurs : « Que se passerait-il si nous prenions réellement au sérieux ces paroles? » Il répond lui-même à cette question dans une affirmation provocante : « Nous reconnaîtrions simplement que l’action missionnaire est le paradigme de toute tâche de l’Église. » (EG 15)
 
Et le pape François cite Jésus : « Il y aura plus de joie dans le ciel pour un seul pécheur qui se repent que pour quatre-vingt-dix-neuf justes, qui n’ont pas besoin de repentir » (Lc 15, 7). Nous connaissons bien ces trois belles paraboles de saint Luc sur la joie de Dieu le Père à chaque fois qu’un de ses enfants revient vers lui, accueille son pardon, sa tendresse, sa miséricorde et le don d’une vie filiale renouvelée.
 
L’appel et l’envoi pour la mission sont là claironnés! Ça veut dire quoi dans ma vie personnelle, dans le groupe ecclésial et communautaire où je vis? Est-ce que je prends au sérieux ces paroles de Jésus, au point qu’elles me dérangent? Est-ce que je suis l’ami de Jésus au point que son souci, celui qui l’a conduit jusqu’au don suprême, hante mon cœur, parfois m’empêche de dormir?
 
Je veux souvent prier l’Esprit-Saint de me souffler la réponse et de me la faire vivre. Et je supplie la Vierge Marie de m’éduquer à être ouvert à ce Souffle, à le désirer, à l’accueillir, à y obéir promptement. Car la vraie réponse doit jaillir de mon cœur, un cœur conquis par mon Seigneur!
 
(9e texte d’une série sur La joie de l’Évangile)

† Roger Ébacher
Évêque émérite de Gatineau