vendredi 29 mars 2013

Vatican II et l’histoire

John W. O’Malley, dans L’événement Vatican II, après avoir noté les multiples nouveautés à ce concile, se pose la question : «  D’où provenait l’impulsion qui poussait à reconnaître que ce changement était légitime et même bon? » Il répond que l’état d’esprit des évêques et des théologiens les plus influents se caractérisait par un grand intérêt pour l‘histoire. Il voit même là une caractéristique spécifique de Vatican II par rapport aux conciles antérieurs. Cet état d’esprit a conduit la majorité conciliaire à comprendre que de profonds changements s’étaient opérés durant la longue histoire de l’Église et qu’au moins certains de ces changements pouvaient se comprendre comme l’expression d’une culture donnée : ils n’étaient donc pas irréversibles.

Les grandes batailles conciliaires portèrent sur l’identité de l’Église, non sur les dogmes fondamentaux. « Les grandes questions étaient : jusqu’à quel point la tradition de l’Église est-elle malléable? Quels sont les modèles de changement qui s’y rapportent? Quelles sont les limites légitimes de ces modèles? »

Ce sens aigu de l’histoire a joué au concile un rôle fondamental d’au moins trois manières qui correspondaient à trois mots couramment employés à l’époque : aggiornamento, développement (déploiement, progrès, évolution) de la doctrine, ressourcement (retour aux sources). « Une présomption fondamentale sous-tendait ces trois expressions telles que le Concile les comprenait : la tradition catholique est plus riche, plus large et plus malléable que l’interprétation qu’on en a souvent faite, surtout au XIXe siècle ».
(35e texte d’une série sur Vatican II)
† Roger Ébacher
Évêque émérite de Gatineau

mercredi 27 mars 2013

Pâques avalé par la recherche de profit

J’ai entendu il y a quelques jours à un réseau radiophonique une affirmation toute spontanée et dite comme une évidence : « Pâques, c’est la fête du chocolat! » Ça m’a à la fois estomaqué et révélé quelque chose de sournois, mais de très virulent dans notre culture du marché et du profit. Elle est capable de tout digérer et traduire en argent.

Nous vivons une société où prédomine le profit, quel qu’en soit le prix. On le voit bien par les révélations que la Commission Charbonneau met en ondes de jour en jour. Devant l’argent, il n’y a plus de principes, ni d’honneur, ni de conscience. Même les valeurs que nous reconnaissions comme les plus sacrées sont avalées, digérées, converties en objets de profits. La convoitise est plus forte que tout et creuse jusqu’aux racines de notre être pour l’emporter dans le tsunami des lois du marché qui s’imposent à tous et à tout.

Même Pâques y passe, comme y sont passés Noël, la St-Valentin, le jour de l’Action de Grâces ou encore le jour commémorant les défunts! « Pâques, c’est la fête du chocolat! »

Devant cette agression des valeurs évangéliques et même bonnement humaines, il est nécessaire en ces Jours Saints de nous ressourcer à l’Évangile. Alors, Pâques retrouve sa vitalité intime, qui nous rejoint jusqu’au plus profond de nos entrailles. Pâques est la fête de la Vie plus forte que toutes nos morts, celles quotidiennes et celle qui nous conduit à la tombe. Pâques est la fête de la victoire de la Lumière sur les ténèbres, de la Joie sur l’amertume, la rage et la vengeance.

C’est pourquoi je suis fier en cette fête de Pâques 2013 de reprendre le cri de victoire de mes ancêtres, les premiers chrétiens. « C'est vrai! Le Seigneur est ressuscité : il est apparu à Simon-Pierre. » (Luc 24,34). « Nous avons vu le Seigneur! » (Jean 20,25

Depuis que mon cœur a été réchauffé par la rencontre du  Ressuscité et que mes yeux se sont ouverts à sa présence vivante et active sur mes chemins de vie, je vois jour après jour à l’œuvre le Seigneur, le Vivant vainqueur de toutes les morts et de la mort. Voilà ma foi! Voilà mon espérance! Voilà l’amitié qui habite ma vie et la fait passer de jour en jour de la mort à la vie!

Je vous souhaite une fête de Pâques marquée par cette joie! Que le chocolat vous apporte quelques plaisirs, mais ne prétende pas répondre à l’aspiration intime de votre cœur à vivre pour toujours. Lui seul, le Ressuscité, peut sans cesse attiser ce feu qui brûle en notre cœur et un jour l’épanouira en Lumière et Vie pour toujours.

Roger Ébacher
Évêque émérite de Gatineau

samedi 23 mars 2013

Vatican II : les sujets débattus

Dans un livre intitulé: La bataille du Vatican 1959-1965. Les coulisses du concile qui a changé l’Église, Christine Pedotti a longuement montré ce qu’ont vécu les évêques au cours des débats pénibles, des discussions rudes, même des affrontements tenaces et terribles qui ont ponctué les années conciliaires.

Très vite, deux tendances s’y sont affichées et elles ont duré jusqu’au dernier jour du concile. Mgr Paul-Émile Charbonneau, dans son livre intitulé: Célébrer  l’annonce de Vatican II, identifie ces deux « nobles » tendances : celle des « notionnels » et celle des « existentiels ». Et il commente : « De fait, au concile, règnent deux partis. Et c’est normal dans une assemblée de 2500 personnes. L’un des partis veut “nettoyer” le passé pour aller de l’avant. L’autre tient à protéger ce passé envers et contre tout ».

Voici ces points qui ont entretenu la controverse au concile, selon Mme Pedotti.
1.      En liturgie : le latin ; la concélébration; la communion sous les deux espèces pain et vin, Corps et Sang du Christ.
2.      Sur l’Église : l’Église comme sacrement; le Peuple de Dieu; tout ce qui a trait à la collégialité épiscopale; le rétablissement du diaconat permanent; l’appel à la sainteté : réservé aux personnes engagées dans la vie religieuse ou vocation pour tous; la Vierge Marie : l’usage du terme « médiatrice ».
3.      Sur la Révélation divine : le lien entre l’Écriture et la Tradition; l’historicité des Évangiles.
4.      Sur l’Église dans sa relation au monde de ce temps : le titre de « Constitution pastorale » donné à ce document; l’ordre inductif qui y fut suivi dans l'élaboration du document; l’optimisme jugé exagéré; l’athéisme, et surtout le communisme, pas assez fermement condamné; le mariage et le contrôle des naissances; la guerre; la détention et l’usage d’armes nucléaires dans la logique de « l’équilibre de la terreur ».
5.      Sur l’œcuménisme : le fondement de l’œcuménisme lui-même, une minorité considérant que nul dialogue n’était réellement envisageable avec des schismatiques et des hérétiques.
6.      Sur la liberté religieuse : impossible pour beaucoup de consentir à nommer un « droit pour l'erreur », car seule la vérité a des droits; depuis quelques siècles, la liberté religieuse a été impitoyablement combattue et condamnée  par les papes; l’objectif des promoteurs du texte fut de préciser qu’il s’agissait du droit des personnes et non du droit de la vérité.
7.      Sur les relations de l’Église avec les religions non chrétiennes : la condamnation du déicide (le mot lui-même ne figure pas dans le texte); la responsabilité chrétienne dans les persécutions contre les Juifs.
8.      Sur la charge pastorale des évêques : tous ce qui ont trait à la collégialité et au pouvoir du pape; la question de l’indépendance des religieux dans les diocèses » (l’exemption); l’autorité des conférences épiscopales.
9.      Sur le ministère et la vie des prêtres : n’en mentionne aucun.
10.  Sur la formation des prêtres : la place réservée à l’étude de la philosophie thomiste.
11.  Sur la rénovation et l’adaptation de la vie religieuse : l’obéissance dont une majorité voulait qu’elle soit clairement distinguée de l’obligation aveugle de soumission.
12.  Sur l’activité missionnaire de l’Église : la mission se limite-t-elle aux « nouvelles terres » ou concerne-t-elle aussi les « anciennes Églises »; la tutelle de la Congrégation de la propagande de la foi sur les « jeunes Églises ».
13.  Sur l’apostolat des laïcs : l’Action Catholique; la collaboration des laïcs avec les clercs, leur autonomie et leur lien hiérarchique.
14.  Sur les Églises orientales: n’en mentionne aucun.
15.  Sur l’éducation catholique : l’étude de s. Thomas dans les facultés universitaires catholiques.
16.  Sur les moyens de communication sociale : le ton « paternaliste » du document.

Il y a donc eu une ligne de fracture dans les discussions conciliaires. Sous ces débats sur des questions qui semblent fort disparates, il y avait toutefois trois questions sous-jacentes :
-         Est-ce que l’Église catholique peut changer? Tel fut le débat de fond. « Et l’objet des plus vives résistances » note Mme Pedotti.
-         Quelles doivent être les relations entre le centre et le reste de l’Église : centralisation ou collégialité?
-         Comment faut-il exercer l'autorité dans l’Église : un style autoritaire ou celui de la persuasion, de l’invitation, de la conversion, du dialogue, du partenariat?

Il y a certes lieu de se demander où nous en sommes de ces questions cinquante ans plus tard.
(34e texte d’une série sur Vatican II)
† Roger Ébacher
Évêque émérite de Gatineau

vendredi 15 mars 2013

François évêque de Rome

J’ai été très touché d’entendre le nom du nouveau pape : Bergoglio. J’en ai souvent entendu parler. Il a la réputation d’être proche du peuple et très engagé envers les pauvres.

Et mon émotion a encore augmentée quand j'ai entendu le nom qu’il a choisi comme évêque de Rome. Il se trace ainsi un magnifique et exigeant programme : marcher sur les pas de ce grand saint, si proche des personnes blessées par la vie, si pauvre et si donné pour toutes et pour tous. Et n’oublions pas son amitié spirituelle avec Claire et son soutien indéfectible à son pauvre monastère. François aimait intensément l’Église et a été profondément fidèle à Jésus crucifié lui demandent de réparer son Église qui tombait en ruines. Que l’évêque François sache entendre cet appel toujours actuel!

J’ai aimé la perception qu’il a exprimé de son nouveau rôle en se présentant comme évêque de Rome. Car c’est bien en tant qu’évêque de Rome qu’il est le successeur de Pierre (et aussi de Paul) dans le service de l’Église et dans le témoignage pour que le monde en vienne à croire que Dieu l’aime à ce point de nous avoir donné son Fils pour notre bonheur et notre vie éternelle.

À mon avis, ce fut magnifique de le voir faire prier la foule pour son prédécesseur et même de demander à toute l’Église de prier sur lui. Il a obtenu ainsi un silence profond de cette immense foule enthousiaste et si bruyante quelques secondes auparavant. Prier avec le Peuple de Dieu et faire prier le Peuple de Dieu sur lui : ce sont là les gestes d’un spirituel qui a le sens de la communauté ecclésiale et qui ne se sentira pas seul dans son ministère.

Et ses derniers mots, égayés d’un sourire, ont été tout paternels, remerciant les gens de leur accueil chaleureux et les invitant à aller dormir en paix.

Que l’Esprit soit son guide, sa force et sa joie au cœur des épreuves qu’il ne manquera sûrement pas de rencontrer sur son chemin de service de l’Église et du monde. Il l’a conduit à ce siège apostolique, qu’il continue à le soutenir et à l’éclairer dans ses choix et ses priorités.

Que Marie mère de l’Église et pauvre parmi les pauvres lui soit bonne et guide ses pas vers Jésus Vivant et vers ses préférés les petits de ce monde.

† Roger Ébacher
Évêque émérite de Gatineau

samedi 9 mars 2013

Vatican II : un vocabulaire nouveau

Jean XXIII a demandé aux Pères conciliaires de témoigner durant ce concile d’une attitude de miséricorde et non de sévérité. Il fut entendu et le vocabulaire utilisé a été choisi en conséquence. Y disparaissent les mots qui méprisent les autres, les anathématisent, les dénoncent. O’Malley classe ceux qui furent surtout utilisés en  cinq catégories :
1-     Les mots de l’égalité : Peuple de Dieu, frères et sœurs, sacerdoce des fidèles, collégialité. On vise donc ici des relations horizontales et non pas entre supérieur et inférieur.
2-     Les mots de la réciprocité : coopération, partenariat, collaboration, dialogue, conversation, amitié, fraternité.
3-     Les mots de l’humilité : Église pèlerine, servante. Ça s’oppose à une attitude de pouvoir voulant s’imposer.
4-     Les mots du changement : développement, progrès, évolution
5-     Les mots disant l’intériorité : charismes, joies et espoirs, peines et souffrances. Il faut mettre dans cette catégorie tout ce qui est dit dans ces textes sur la conscience, et aussi tous les appels à la sainteté, à la sanctification.

Une conséquence de ce changement de vocabulaire est que ces seize textes, même s'ils touchent des sujets tellement variés et  furent rédigés avec des mois et même quelques années d’intervalle, ont une cohérence étonnante.  C’est là le résultat d’un travail acharné pour sans cesse remettre l’œuvre sur le métier jusqu’à ce que la volonté de la communication de l’Évangile au monde de notre temps y soit transparente le plus possible. L’auteur ici cité soutient que c’est surtout dans ce genre littéraire, et les valeurs qu’il a incarnées, que l’on peut reconnaître ce qu’on a nommé : « l’esprit du concile ».

Car ce changement du vocabulaire indique un changement profond des valeurs retenues comme essentielles pour l’Église tant dans sa vie interne que par rapport au monde. Il s’agit d’un nouveau mode de réflexion, de sensibilité, d’action. C’est un appel à la conversion de tous les membres de l’Église et en particulier des  personnes qui y exercent un leadership. Par là, ce concile est essentiellement prophétique : il porte un fort appel au renouveau du cœur. L’Église est mise en demeure de chasser sa peur, sa haine, son ressentiment des autres, quels qu’ils soient. Le concile envoie donc un appel à la conscience de chaque membre de l’Église. Et reconnaissons que cet appel est toujours actuel (car que de tensions, de guerres dans notre humanité!) et qu’il rejoint le désir le plus profond du cœur humain : la soif intense d’unité dans la diversité et de la paix.
(33e texte d’une série sur Vatican II)
† Roger Ébacher
Évêque émérite de Gatineau

vendredi 1 mars 2013

Vatican II : un nouveau style conciliaire (2e partie)

L’attitude, non pas de condamnations, mais de miséricorde, que Jean XXIII a demandée aux Pères conciliaires a exigé un changement très profond dans le style retenu et les valeurs mises en exergue.  John W. O’Malley, dans son livre L’événement Vatican II, a analysé ce changement qui a une portée considérable sur la capacité même de l’Église de parler au monde de ce temps pour en être compris. C’est cette insistance nouvelle qui a amené à parler d’un concile pastoral, ce qui ne signifie pas une opposition aux dogmes, mais met l’accent différemment.

Certains conciles antérieurs ont utilisé le style littéraire des confessions de foi, des bulles, des lettres, des récits historiques. Mais pour saisir la nouveauté de Vatican II, il faut noter que la majorité des conciles jusque-là se sont identifiés comme des instances législatives et judiciaires. Cette façon de saisir leur propre identité amenait un style juridique en vue de combattre les abus doctrinaux ou disciplinaires. Ces conciles ne cherchaient pas à faire de longs textes pour convaincre, mais au contraire des textes aussi concis que possible pour combattre efficacement les adversaires. C’étaient des canons visant à fournir des normes, à donner des sanctions, à censurer. Le style était celui des menaces, des intimidations, de la surveillance, de la punition. Ils se terminaient souvent par des excommunications. C’étaient en somme des instruments de contrainte venant d’un pouvoir supérieur cherchant à s’imposer à des inférieurs.

Vatican II s’est identifié comme une assemblée au service de l'Église et du monde. Le style fut en conséquence tout nouveau. Ce concile n’a formulé aucun canon. Ses seules condamnations furent contre la course aux armements et contre la prolifération des armes nucléaires. Les textes sont longs, même parfois poétiques. Ils offrent un idéal. Ils ne visent pas la contrainte, mais la persuasion et l’adhésion intérieure. Ce sont des invitations au dialogue visant la conversion, le changement des cœurs. Ce ne sont donc pas des commandes venant de haut, mais bien des paroles d’amis visant la réconciliation et la communion.
(32e texte d’une série sur Vatican II)
† Roger Ébacher
Évêque émérite de Gatineau