mardi 24 janvier 2012

Un nouvel humain est né

Un journal titrait récemment : « Un nouvel humain est né » (La Presse, samedi le 21 janvier 2012, p A20). Sous la plume (ou sur l’écran de l’ordinateur) de Nathalie Collard, nous lisons : « Les technologies sont en train de bouleverser notre façon de vivre, de penser, de communiquer». Ce nouvel humain « n’a plus le même corps, la même espérance de vie, ne communique plus de la même façon, ne perçoit plus le même monde, ne vit plus dans la même nature, n’habite plus le même espace ». Les perspectives futuristes du Marshall McLuhan des années 1970 sont devenues des réalités en voie même d’être dépassées.

Ca me rappelle ce qu’écrivait le pape Benoît XVI dans son message du 24 janvier 2011 en la fête de saint François de Sales, patron des journalistes et des écrivains. « Les nouvelles technologies ne changent pas seulement le mode de communiquer, mais la communication en elle-même. On peut donc affirmer qu'on assiste à une vaste transformation culturelle. Avec un tel système de diffusion des informations et des connaissances, naît une nouvelle façon d'apprendre et de penser, avec de nouvelles opportunités inédites d'établir des relations et de construire la communion».

Les médias sociaux de toutes sortes, qui évoluent avec une rapidité étourdissante nous offrent beaucoup de possibilités. « Comme tout autre fruit de l’ingéniosité humaine, les nouvelles technologies de la communication doivent être mises au service du bien intégral de la personne et de l'humanité entière. Sagement employées, elles peuvent contribuer à satisfaire le désir de sens, de vérité et d'unité qui reste l'aspiration la plus profonde de l'être humain » (Benoît XVI).

Cette situation nouvelle nous invite donc à une réflexion sérieuse sur ce que nous vivons et vivrons dans les prochaines années. Ces moyens fantastiques de communications et d’interactions permettent d’être beaucoup plus informés et plus fréquemment engagés de toutes sortes de façons dans la vie sociale, économique, politique. Mais d'un autre côté, des chercheurs prennent une conscience de plus en plus aiguë de la dépendance face à ces médias et de la gravité d’une telle situation : l’accoutumance à l’internet serait comparable à la dépendance à la cocaïne.

De plus, «les nouvelles technologies permettent aux personnes de se rencontrer au-delà des frontières de l'espace et des cultures, inaugurant ainsi un tout nouveau monde d’amitiés potentielles » Mais qui est mon «prochain» dans ce nouveau monde ? « N’y a-t-il pas le danger d'être moins présent à ceux que nous rencontrons dans notre vie quotidienne ordinaire ? […] Il est important de se rappeler toujours que le contact virtuel ne peut pas et ne doit pas se substituer au contact humain direct avec les personnes à tous les niveaux de notre vie » (Benoît XVI).

C’est un phénomène très radical et transformant que nous vivons. En quelque sorte, c’est notre propre système nerveux central qui est ainsi lancé dans l’espace. Nos membres s’agrandissent aux dimensions de la planète. Nous voilà avec un nouveau corps, à ramifications indéfinies. Il est d’autant plus opportun de nous rappeler l’affirmation du philosophe Henri Bergson voulant que notre corps ainsi agrandi attend un supplément d’âme et que notre mécanique, devenue en fait une puissance électronique stupéfiante, appelle une mystique (dans son écrit : Les Deux sources de la morale et de la religion).

† Roger Ébacher
Évêque émérite de Gatineau

samedi 21 janvier 2012

Avoir un cœur qui écoute

Au début de cette année, j’ai vécu un temps de prière et de retraite avec une trentaine d’évêques canadiens francophones. La rencontre eut lieu à la Maison de la Madone, lieu d’hébergement et de ressourcement du Cap-de-la-Madeleine. Elle était dirigée par le Père Robert Mercier, p.s.s. Il y a traité de l’Évangile selon saint Jean. La méthode employée fut celle de la lectio divina (appellation traditionnelle que nous ne traduisons pas).

Cette méthode implique une lecture priante de la Bible. La première chose à faire n’est surtout pas de procéder comme nous risquons si souvent de le faire : nous demander ce que la Parole dit à notre émotion, ce qu’elle suscite de pensées en nous. Il importe d’abord de vivre une lecture attentive du texte, faite de préférence en le murmurant à mi-voix pour écouter la Parole résonner en nous. Puis on le relit à en cherchant le sens que l’auteur, l’Esprit-Saint, y a mis en tenant compte du contexte global de la Bible. Pour cela, nous approfondissons chaque phrase, souvent chaque mot, avec les parallèles que nous pouvons trouver dans toute la Bible. Car il importe d’entrer dans la culture de la Bible, dans son vocabulaire, dans son environnement culturel. Dieu parle à des humains avec des images, des comparaisons, des histoires bien humaines, mais qui ont toutes sortes de résonnances qu’il importe de sentir en comparant le texte lu avec des parallèles.

Comme la décrit un spécialiste de la question, la lectio divina « c’est la lecture continue de toutes les Écritures, au cours de laquelle chaque livre et chaque section sont lus à la suite, étudiés, médités, compris et savourés dans le contexte de toute la révélation biblique » (Rossi de Gasperis).

En somme, il s’agit de devenir un auditeur attentif de la Parole de Dieu, étant disposé dans son cœur à une obéissance inconditionnelle à Dieu qui parle. Nous en trouvons un exemple dans le récit magnifique de la vocation du jeune Samuel (1 Samuel chapitre 3). Fruit d’une naissance miraculeuse, Samuel vit dans le temple de Silo où était alors gardée l’arche de Dieu. Une nuit, Dieu l’appelle. Mais « Samuel ne connaissait pas encore le Seigneur et la Parole du Seigneur ne lui avait pas encore été révélée ». Alors, Samuel pense que c’est son vieux maitre Éli qui l’appelle. Il court vers Éli et lui dit : « Me voici, tu m’as appelé ». Mais Éli le renvoie se coucher dans le temple. Cela se reproduit deux autres fois. Finalement Éli comprend que c’est Dieu qui parle au jeune homme et il lui apprend comment répondre : « Parle, Seigneur, ton serviteur écoute ». En fait le Seigneur vient à nouveau se placer près de Samuel et l'appelle encore. Samuel répond : « Parle, ton serviteur écoute ». Et il apprend peu à peu à écouter la Parole de tout son cœur. Ca changera sa vie et celle de son peuple.

Cette lecture très attentive de la Parole est une première étape. Il est bon ensuite de l’apprendre par cœur, de la murmurer longuement au cours de toutes nos occupations. C’est ce que Moïse avait ordonné à son peuple : « Puisses‑tu écouter, Israël, garder et pratiquer ce qui te rendra heureux […] Que ces paroles que je te dicte aujourd'hui restent dans ton coeur! Tu les répéteras à tes fils, tu les leur diras aussi bien assis dans ta maison que marchant sur la route, couché aussi bien que debout; tu les attacheras à ta main comme un signe, sur ton front comme un bandeau; tu les écriras sur les poteaux de ta maison et sur tes portes» (Deutéronome, 63ss). C’est ainsi que nous nous souviendrons de Dieu dans notre quotidien.

Puis il importe d’approfondir les Paroles par une méditation qui nous en livrera la richesse et nous orientera à comprendre ses implications dans notre vie. Nous pourrons avec un élan de tout notre cœur y adhérer avec ferveur et joie.

Voilà un bien pauvre résumé de cette méthode de lecture de la Bible. J’ai compris dans cette retraite que nous ne pouvons y parvenir que par des « exercices » réguliers et suivis. Il faut y embarquer avec décision et souffle. Mais il faut aussi être réaliste, se donner un programme possible selon notre condition de vie et nos obligations. Il faut surtout sans cesse supplier l’Esprit de purifier notre cœur de tant de distractions de toutes sortes, de tant de soucis qui nous accaparent pour le rendre disponible à Dieu qui parle.

Un bel exemple est la Vierge Marie à l’Annonciation : « Je suis la servante du Seigneur; qu'il m'advienne selon ta parole! » (Luc 1,38). Après avoir supplié l’Esprit-Saint au début de chaque exercice, on peut aussi invoquer Marie notre Mère et notre éducatrice.

† Roger Ébacher
Évêque émérite de Gatineau

mercredi 18 janvier 2012

Change ton cœur

Nous sommes en un temps d’effarants changements de toutes sortes. Les nouvelles technologies nous précipitent dans une course effrénée. C’est ce qu’on peut retenir des interventions si fortes des environnementalistes, des « indignés », de tant d’autres groupes. Dans notre culture québécoise actuelle, beaucoup de forces aussi vont dans le sens d’un changement de structures, de façons de faire et de penser, de modes de vie. Et quand nous prenons conscience des situations de beaucoup de populations qui meurent de faim, nous nous disons que ca ne peut pas continuer ainsi. De même quand nous prenons conscience des désastres causés par un capitalisme extrême et inhumain, nous pensons que nous allons vers une catastrophe et qu’il faut orienter différemment nos choix éthiques. Que penser de tels événements qui nous bousculent, souvent nous bouleversent?

Je lisais récemment une histoire issue de la tradition des penseurs juifs. Je l’ai trouvée stimulante et très actuelle. On y lit : « Si tu veux changer le monde, commence par changer ce qui se passe dans ton pays. Et si tu veux changer ce qui se passe dans ton pays, commence donc par changer ce qui se passe dans ta ville. Et si tu veux changer ta ville, change d’abord ce qui se passe dans ta rue. Et si tu veux changer ta rue, change d’abord ce qui se passe dans ta maison et, finalement, si tu veux vraiment changer ce qui se passe dans ta maison, commence par te changer toi-même ». (Cité par David Meyer dans D. Meyer, Y Simoens, S. Bencherik  « Les versets douloureux », Bruxelles, Lessius, 2007, p. 21).

C’est ce qui est le plus difficile, mais aussi le plus urgent : changer son propre cœur. Car comme Jésus l’a affirmé si clairement, c’est du cœur que sortent toutes les bonnes choses, comme aussi toutes les mauvaises choses de notre vie. Nous soignons bien sûr notre cœur physique et nous cherchons à nous prémunir des crises cardiaques. Mais il existe aussi des durcissements du cœur spirituel, des artérioscléroses des artères vitales qui dirigent nos choix essentiels. Voilà ce qu’il importe particulièrement de prévenir ou de soigner.

Se faire traiter de « sans cœur », n’est-ce pas une insulte qui nous blesse profondément?  Par ailleurs, être reconnu comme une personne qui a « un grand coeur », n’est-ce pas un magnifique compliment, une reconnaissance de notre être profond?

Mais comment faire pour bien traiter son cœur? Il faut prendre le temps de s’arrêter, alors que nous courons tout le temps. Il faut aussi prendre le temps de regarder autour de soi, d’écouter les gens, de partager leurs joies et leurs peines. Si on veut encore aller plus loin, il faut aussi écouter Dieu : c’est lui seul finalement qui connait bien notre propre cœur! Et par son Esprit, il sait nous indiquer les remèdes pour que notre cœur reste ouvert, vulnérable, aimant. La prière est un magnifique remède à nos durcissements du cœur.

† Roger Ébacher
Évêque émérite de Gatineau