dimanche 29 juin 2014

Des relations nouvelles


Le paragraphe 87 de La joie de l’Évangile est particulièrement suggestif. Je le cite au complet.
 
« De nos jours, alors que les réseaux et les instruments de la communication humaine ont atteint un niveau de développement inédit, nous ressentons la nécessité de découvrir et de transmettre la “mystique” de vivre ensemble, de se mélanger, de se rencontrer, de se prendre dans les bras, de se soutenir, de participer à cette marée un peu chaotique qui peut se transformer en une véritable expérience de fraternité, en une caravane solidaire, en un saint pèlerinage. Ainsi, les plus grandes possibilités de communication se transformeront en plus grandes possibilités de rencontre et de solidarité entre tous. Si nous pouvions suivre ce chemin, ce serait une très bonne chose, très régénératrice, très libératrice, très génératrice d’espérance! Sortir de soi-même pour s’unir aux autres fait du bien. S’enfermer sur soi-même signifie goûter au venin amer de l’immanence, et en tout choix égoïste que nous faisons, l’humanité aura le dessous. »
 
Nous sommes invités à « dépasser le soupçon, le manque de confiance permanent, la peur d’être envahi, les comportements défensifs que le monde actuel nous impose. » C'est là renoncer au réalisme « de la dimension sociale de l‘Évangile (…) L’Évangile nous invite toujours à courir le risque de la rencontre avec le visage de l’autre, avec sa présence physique qui interpelle, avec sa souffrance et ses demandes, avec sa joie contagieuse dans un constant corps à corps. La foi authentique dans le Fils de Dieu fait chair est inséparable du don de soi, de l’appartenance à la communauté, du service, de la réconciliation avec la chair des autres. Dans son incarnation, le Fils de Dieu nous a invités à la révolution de la tendresse. »
 
« Il s’agit d’apprendre à découvrir Jésus dans le visage des autres, dans leur voix, dans leurs demandes. C’est aussi apprendre à souffrir en embrassant Jésus crucifié quand nous subissons des agressions injustes ou des ingratitudes, sans jamais nous lasser de choisir la fraternité. »
 
Et le pape François nous exhorte : « Ne nous laissons pas voler la communauté! »
 
Est-ce que je me contente de relations interpersonnelles à travers un écran de télévision ou d’ordinateur?
 
Comment est-ce que Jésus dans l’Évangile me pousse à aller vers l’autre, à le reconnaître comme mon frère, ma sœur?
(27e texte d’une série sur la joie)
† Roger Ébacher
Évêque émérite de Gatineau

samedi 28 juin 2014

Une espérance tenace et joyeuse

« La joie de l’Évangile est celle que rien et personne ne pourra jamais enlever (cf. Jn 16, 22). » (Pape François, La joie de l’Évangile par. 84). Après avoir posé de fortes affirmations: « Oui au défi d’une spiritualité missionnaire; » « Non à l’acédie égoïste; » le pape ajoute: « Non au pessimisme stérile. » Et nous avons là une longue citation de saint Jean XXIII dénonçant ceux qui ne voient dans notre société que ruines et calamités.  Le saint pape y affirme son « désaccord avec ces prophètes de malheur, qui annoncent toujours des catastrophes, comme si le monde était près de sa fin. »
 
« Une des plus sérieuses tentations qui étouffent la ferveur et l’audace est le sens de l’échec, qui nous transforment en pessimistes mécontents et déçus au visage assombri. Personne ne peut engager une bataille si auparavant il n’espère pas pleinement la victoire. Celui qui commence sans confiance a perdu d’avance la moitié de la bataille et enfouit ses talents. »
 
Et le pape rappelle cette bouleversante parole de Jésus ressuscité à saint Paul : « Ma grâce te suffit : car la puissance se déploie dans la faiblesse. » (2 Co 12, 9)
 
Nous pouvons reconnaître notre situation dans ce que le pape décrit comme « une “désertification” spirituelle, fruit du projet de sociétés qui veulent se construire sans Dieu ou qui détruisent leurs racines chrétiennes. » Et il ajoute cette remarque : « C’est justement à partir de l’expérience de ce désert, de ce vide, que nous pouvons découvrir de nouveau la joie de croire, son importance vitale pour nous. »
 
Et François nous exhorte avec force : « Ne nous laissons pas voler l’espérance! »
 
Suis-je englué dans ce pessimisme stérile?
 
Que me dit la citation de Paul, appliquée à mes engagements apostoliques?
 
La promesse de Jésus de nous donner sa joie, ça me dit quelque chose?
(26e texte d’une série sur la joie)
† Roger Ébacher
Évêque émérite de Gatineau

dimanche 22 juin 2014

Sommes-nous des momies de musée?


C’est le pape François qui nous pose la question (voir La joie de l’Évangile par 82ss) Il emploie dans ce contexte un mot peu connu: acédie. « C'est un mal de l'âme qui s'exprime par l'ennui, le dégoût pour la prière, la pénitence, la lecture spirituelle. L'acédie peut être une épreuve habituellement passagère, mais peut être aussi un état de l'âme qui devient une véritable torpeur spirituelle et la replie sur elle-même. C'est alors une maladie spirituelle. »
 
Le pape voit des signes de cette maladie dans la difficulté de trouver des personnes pour assurer la catéchèse ou d’autres services d’Église à long terme, dans la tentation de certains prêtres de s’assurer à tout prix « de préserver leurs espaces d’autonomie, comme si un engagement d’évangélisation était un venin dangereux au lieu d’être une réponse joyeuse à l’amour de Dieu qui nous convoque à la mission et nous rend complets et féconds. »
 
François énumère différentes origines de cette acédie pastorale. « Certains y tombent parce qu’ils conduisent des projets irréalisables et ne vivent pas volontiers celui qu’ils pourraient faire tranquillement. D’autres, parce qu’ils n’acceptent pas l’évolution difficile des processus et veulent que tout tombe du ciel. D’autres, parce qu’ils s’attachent à certains projets et à des rêves de succès cultivés par leur vanité. D’autres pour avoir perdu le contact réel avec les gens, dans une dépersonnalisation de la pastorale qui porte à donner une plus grande attention à l’organisation qu’aux personnes, si bien que le “tableau de marche” les enthousiasme plus que la marche elle-même. D’autres tombent dans l’acédie parce qu’ils ne savent pas attendre, ils veulent dominer le rythme de la vie.»
 
Alors, la foi s’affaiblit. « La psychologie de la tombe, qui transforme peu à peu les chrétiens en momies de musée, se développe. » 
 
D’où le cri du pape : « Ne nous laissons pas voler la joie de l’évangélisation ! »
 
Suis-je atteint par cette acédie ? Si oui, quelle en serait la cause dans mon cas ?
(25e texte d’une série sur la joie)
† Roger Ébacher
Évêque émérite de Gatineau

vendredi 20 juin 2014

L’enthousiasme missionnaire


Le pape François, dans La joie de l’Évangile, développe une longue exhortation pour les « agents pastoraux », c’est-à-dire les évêques jusqu’aux plus humbles et cachés agents ecclésiaux. « Comme enfants de cette époque, nous sommes tous de quelque façon sous l’influence de la culture actuelle mondialisée qui, même en nous présentant des valeurs et de nouvelles possibilités, peut aussi nous limiter, nous conditionner et jusqu’à nous rendre malades. » (par. 77) Le premier défi qu’il relève c’est d’entretenir en nous une spiritualité missionnaire.
 
Qu’est-ce qui menace une telle identité en nous? Le pape note qu’aujourd’hui beaucoup d’agents pastoraux risquent de développer une préoccupation exagérée pour les espaces personnels d’autonomie et de détente, qui les conduit à vivre leurs tâches comme un simple appendice de la vie. « Ainsi, on peut trouver chez beaucoup d’agents de l’évangélisation, bien qu’ils prient, une accentuation de l’individualisme, une crise d’identité et une baisse de ferveur. Ce sont trois maux qui se nourrissent l’un l’autre. »
 
Les agents de la mission peuvent être contaminés par un certain désenchantement. D’où « une sorte de complexe d’infériorité, qui les conduit à relativiser ou à occulter leur identité chrétienne et leurs convictions. Un cercle vicieux se forme alors, puisqu’ainsi ils ne sont pas heureux de ce qu’ils sont et de ce qu’ils font, ils ne se sentent pas identifiés à la mission évangélisatrice, et cela affaiblit l’engagement. Ils finissent par étouffer la joie de la mission par une espèce d’obsession pour être comme tous les autres et pour avoir ce que les autres possèdent. De cette façon, la tâche de l’évangélisation devient forcée et ils lui consacrent peu d’efforts et un temps très limité. »
 
Et nous guette ce relativisme pratique qui consiste « à agir comme si Dieu n’existait pas, à décider comme si les pauvres n’existaient pas, à rêver comme si les autres n’existaient pas, à travailler comme si tous ceux qui n’avaient pas reçu l’annonce n’existaient pas. » Alors viennent les tentations pour « un style de vie qui porte à s’attacher à des sécurités économiques, ou à des espaces de pouvoir et de gloire humaine. »
 
D’où le cri du pape : « Ne nous laissons pas voler l’enthousiasme missionnaire! »
 
Où en suis-je face à ces tentations portées jusque dans mon cœur par la culture contemporaine?
 
Me suis-je laissé voler l’enthousiasme missionnaire?
(24e texte d’une série sur la joie)
† Roger Ébacher
Évêque émérite de Gatineau

dimanche 15 juin 2014

Dieu en ville


« Nous avons besoin de reconnaître la ville à partir d’un regard contemplatif, c’est-à-dire un regard de foi qui découvre ce Dieu qui habite dans ses maisons, dans ses rues, sur ses places. La présence de Dieu accompagne la recherche sincère que des personnes et des groupes accomplissent pour trouver appui et sens à leur vie. Dieu vit parmi les citadins qui promeuvent la solidarité, la fraternité, le désir du bien, de vérité, de justice. Cette présence ne doit pas être fabriquée, mais découverte, dévoilée. Dieu ne se cache pas à ceux qui le cherchent d’un cœur sincère, bien qu’ils le fassent à tâtons, de manière imprécise et diffuse. »
 
C’est le pape François qui s’exprime ainsi dans La joie de l’Évangile (par. 71ss). Il note le défi ainsi posé : comment y « imaginer des espaces de prière et de communion avec des caractéristiques innovantes, plus attirantes et significatives pour les populations urbaines » ? Et il ajoute : « Une évangélisation qui éclaire les nouvelles manières de se mettre en relation avec Dieu, avec les autres et avec l’environnement, et qui suscite les valeurs fondamentales devient nécessaire. » Il s’agit d’atteindre avec la Parole de Jésus les éléments centraux les plus profonds de l’âme de la ville.
 
« D’autre part, il y a des citadins qui obtiennent des moyens adéquats pour le développement de leur vie personnelle et familiale, mais il y a un très grand nombre de “non citadins”, des “citadins à moitié” ou des “restes urbains”. La ville produit une sorte d’ambivalence permanente, parce que, tandis qu’elle offre à ses citadins d’infinies possibilités, de nombreuses difficultés apparaissent pour le plein développement de la vie de beaucoup. Ces contradictions provoquent des souffrances déchirantes. Dans de nombreuses parties du monde, les villes sont des scènes de protestation de masse où des milliers d’habitants réclament liberté, participation, justice.»
 
Que propose le pape ? « La proclamation de l’Évangile sera une base pour rétablir la dignité de la vie humaine dans ces contextes, parce que Jésus veut répandre dans les villes la vie en abondance (cf. Jn 10, 10). Le sens unitaire et complet de la vie humaine que l’Évangile propose est le meilleur remède aux maux de la ville, bien que nous devions considérer qu’un programme et un style uniforme et rigide d’évangélisation ne sont pas adaptés à cette réalité. Mais vivre jusqu’au bout ce qui est humain et s’introduire au cœur des défis comme ferment de témoignage, dans n’importe quelle culture, dans n’importe quelle ville, perfectionne le chrétien et féconde la ville. »
 
Comment pouvons-nous y offrir l’Évangile de la liberté, de la réconciliation, de la joie de vivre en abondance ? Quels pas faire maintenant ?
 
Que signifie pour moi l’appel à ce que la Parole rejoigne l’âme de la ville ? 

(23e texte d’une série sur la joie)
† Roger Ébacher
Évêque émérite de Gatineau

mercredi 11 juin 2014

Un discernement sur nos familles


C’est le pape François qui nous y invite dans La joie de l’Évangile (par. 66s). Il note d’abord que « la famille traverse une crise culturelle profonde, comme toutes les communautés et les liens sociaux. » Cette fragilité des liens y est particulièrement grave, car «il s’agit de la cellule fondamentale de la société, du lieu où l’on apprend à vivre ensemble dans la différence et à appartenir aux autres et où les parents transmettent la foi aux enfants. » Cette remarque dit bien la très grande importance de la famille, tant pour la société que pour l’Église.
 
Par ailleurs, « le mariage tend à être vu comme une simple forme de gratification affective qui peut se constituer de n’importe quelle façon et se modifier selon la sensibilité de chacun. Mais la contribution indispensable du mariage à la société dépasse le niveau de l’émotivité et des nécessités contingentes du couple. » Cette contribution naît plutôt de la profondeur de l’engagement pris par les époux qui acceptent d’entrer dans une union de vie totale. C’est là un défi posé à l’individualisme qui marque notre société et favorise un style de vie qui affaiblit la stabilité des liens entre les personnes, et qui dénature les liens familiaux.
 
Notre action en Église doit porter le message que « la relation avec notre Père exige et encourage une communion qui guérit, promeut et renforce les liens interpersonnels. Tandis que dans le monde, spécialement dans certains pays, réapparaissent diverses formes de guerre et de conflits, nous, les chrétiens, nous insistons sur la proposition de reconnaître l’autre, de soigner les blessures, de construire des ponts, de resserrer les relations et de nous aider “à porter les fardeaux les uns des autres” (Ga 6,2).»
 
Suis-je conscient du rôle unique du couple et de la famille dans la vie de l’Église et de la société ? Je fais quoi pour les soutenir ?
 
Suis-je un bâtisseur de liens entre les personnes et les groupes ? 

(22e texte d’une série sur la joie)
† Roger Ébacher
Évêque émérite de Gatineau

samedi 7 juin 2014

Des défis à notre Église

C’est le pape lui-même qui nous les met sous le nez dans La joie de l’Évangile (par. 63).
 
« Il faut reconnaître que, si une partie des personnes baptisées ne fait pas l’expérience de sa propre appartenance à l’Église, cela est peut-être dû aussi à certaines structures et à un climat peu accueillant dans quelques-unes de nos paroisses et communautés, ou à une attitude bureaucratique pour répondre aux problèmes, simples ou complexes, de la vie de nos peuples. En beaucoup d’endroits il y a une prédominance de l’aspect administratif sur l’aspect pastoral, comme aussi une sacramentalisation sans autres formes d’évangélisation. »
 
-       Climat peu accueillant. Y a-t-il écoute ? Donne-t-on facilement son temps pour l’autre ? Les heures de disponibilité sont-elles bien ajustées aux besoins et aux capacités des personnes en recherche de lumière, de conseil, de paix ?

-      Attitude bureaucratique. Est-ce que tout est réglé selon le Code ? Y a-t-il place au discernement face à la vie et aux questions de l'autre ?

-       Prédominance de l’administration sur la pastorale. Serviteurs et servantes des communautés, sommes-nous en fait des fonctionnaires plus que des bergers ?

-       Sacramentalisation sans évangélisation. Croyons-nous que l’Évangile est déjà connu et donc qu’il est inutile de le redire ? Est-ce que la Parole de Dieu a une place prioritaire dans l’activité pastorale ou missionnaire ? Est-ce que mon langage est accessible par les gens qui sont devant moi ?
 
Voilà bien des questions ! Ne vaut-il pas la peine de prendre le temps d’y réfléchir et de faire un bon examen de conscience ?
(21e texte d’une série sur la joie)
† Roger Ébacher
Évêque émérite de Gatineau

lundi 2 juin 2014

Cessons d’accuser les pauvres!


Dans son discernement évangélique de ce que nous vivons actuellement, le pape François réfléchit sur notre hantise d'une plus grande sécurité. Oui, la violence est très présente dans nos sociétés. Mais quelles en sont les causes?
 
« Tant que ne s’éliminent pas l’exclusion sociale et la disparité sociale, dans la société et entre les divers peuples, il sera impossible d’éradiquer la violence. » On accuse les pauvres de causer cette violence.  « Mais, sans égalité de chances, les différentes formes d’agression et de guerre trouveront un terrain fertile qui tôt ou tard provoquera l’explosion. » Quand la société abandonne dans la périphérie une partie d’elle-même, il n’y a ni programmes politiques, ni forces de l’ordre qui puissent assurer sans fin la tranquillité. En fait, cela arrive « parce que le système social et économique est injuste à sa racine. »
 
François analyse cette racine structurelle de la violence dans nos sociétés, à tous leurs niveaux. Les mécanismes de l’économie actuelle promeuvent une exagération de la consommation. Il en résulte un esprit de consommation effréné et une grande disparité sociale. Et  cette disparité sociale « engendre tôt ou tard une violence que la course aux armements ne résout ni résoudra jamais. Elle sert seulement à chercher à tromper ceux qui réclament une plus grande sécurité, comme si aujourd’hui nous ne savions pas que les armes et la répression violente, au lieu d’apporter des solutions, créent des conflits nouveaux et pires. »
 
« Certains se satisfont simplement en accusant les pauvres et les pays pauvres de leurs maux.» Et c’est encore plus grave si on ferme les yeux sur « ce cancer social qui est la corruption profondément enracinée dans de nombreux pays – dans les gouvernements, dans l’entreprise et dans les institutions – quelle que soit l’idéologie politique des gouvernants. »
 
Suis-je pris dans ces préjugés contre les pauvres ?
Comment lutter contre de tels préjugés dans mon milieu ?
Et le cancer de la corruption me touche-t-il ?

(20e texte d’une série sur la joie)
† Roger Ébacher
Évêque émérite de Gatineau