dimanche 30 octobre 2011

Par-delà l'automne

Ce titre est celui du dernier écrit de Paul Tremblay, rédigé quelques mois avant sa mort. J’en ai pris connaissance quand il fut publié en 2005. Mais j’ai récemment senti l’appel à y revenir. Je viens d’avoir 75 ans. Je suis en automne. Que peut-il y avoir encore devant moi d’exaltant, de provoquant à marcher vers mes semblables et vers Dieu? J’ai récolté des fruits plutôt agréables et beaux de mes travaux de jeunesse, j’ai engrangé beaucoup d’expériences des succès et des échecs du temps de la maturité, mais j’ai maintenant perdu des forces et mon énergie vitale et créatrice semble se retirer dans les creux de mon être. J’entre dans un temps de retraite et sans doute de retrait, et je me questionne sur l’avenir.

Ce livre de Paul Tremblay se lit bien. Le style est à la fois poétique, évocateur, sans nostalgie du passé, sans amertume sur le présent, sans peur face à l’avenir. Et il couvre de larges tranches de vie de notre monde. Il traite de trois sujets : l’automne dans la vie personnelle, l’automne dans la vie de l’Église, l’automne dans la vie du monde. Pour chacun de ces repères, une brève description de l’automne dans la nature conduit à des coups de sonde dans la vie personnelle, ecclésiale et mondiale. Puis il cherche à chaque fois si quelque parole biblique ne pourrait pas stimuler la réflexion, ouvrir un chemin ou une porte, donner quelques lumières, prolonger des interrogations, pousser à interpeler plus.

Il formule ainsi une Bonne Nouvelle émergeant de la vie : « non pas un Évangile annoncé de haut, mais un Évangile qui naît à travers les déclins et les renouveaux, à travers les fragilités et les forces qui se manifestent : dans la vie personnelle, dans la vie de l’Église, dans la vie du monde » (pages 203-204).

Il pose clairement la question : « À quoi peuvent servir finalement ces réflexions inspirées par la foi chrétienne? ». Et il répond en indiquant les fonctions  de la religion elle-même. « Son rôle consiste à apporter un surcroît de sens dans la quête que chacun mène pour trouver une signification à sa vie. Il consiste à créer des liens et des lieux de communion pour briser la solitude du monde. Il consiste à établir le dialogue avec ce que les uns appellent le spirituel transcendant, avec celui que les croyants prient en l’appelant leur Dieu. Il consiste à fonder les choix moraux, à discerner les meilleurs chemins d’humanisation. Il consiste à éclairer les deux questions majeures qui hantent et divisent le monde : comment vivre ensemble dans la paix entre individus, entre cultures et nationalités diverses? Comment envisager le destin futur du monde et du cosmos » (page 204).

Cette lecture, alors que je m’interroge sur ce qui sera devant moi à compter de quelques semaines, a stimulé mon espérance. Elle a réveillé mon goût d’oser encore marcher sur les chemins d’incertitudes de mon cœur et de notre monde. Bien des réconciliations m’attendent. Pourrai-je les vivre avec un cœur disponible? Puis s'ouvrent et appellent tous ces chemins de compassion pour contribuer à bâtir un monde où on a plus de cœur les uns pour les autres. Enfin, la conscience plus aigue que la vie est tellement fragile m’invite à plus de tendresse envers toutes les créatures. La belle image du toujours jeune François d’Assise semble vouloir me parler avec une voix toujours proche, actuelle et convaincante. À moi donc d’écouter ces chants qui ne sont pas des appels de sirènes mais des vagissements de la vie plus forte que tout, cette vie qui bondit d’une source  inépuisable de Vie.

†Roger Ébacher
Évêque émérite de Gatineau

lundi 24 octobre 2011

L'automne

Que dire de cette saison tellement paradoxale? Elle peut briller de tous les feux et de toutes les couleurs. Elle peut être aussi tellement terne et sembler ne pas vouloir finir. L’automne est pour moi une saison déroutante. Elle donne les fruits promis par les semences du printemps et les fleurs de l’été. Puis elle dépouille la nature de ses ornements et laisse voir à nu ces grands arbres sans feuilles, ces champs rançonnés de tous leurs biens.

Je suis allé dans le Parc de la Gatineau un de ces jours où la nature s’est revêtue de sa plus belle robe. Le paysage était éblouissant de rouges, de jaunes, de rouilles, de verts. L’automne brillait dans toute sa beauté.

Allant et venant dans les routes de campagne, j’ai vu les abondantes récoltes de fruits et de légumes offertes aux passants pour les réjouir et les rassasier. C’était la fête aux marchés grands ou petits, permanents ou improvisés, qui étalaient ces générosités surabondantes de notre terre offerte à tout passant.

Puis je suis retourné quelques semaines plus tard. Marchant dans la forêt, les feuilles tombées crissaient des lamentations sombres sous chacun de mes pas. J’avançais lentement. Une senteur moite envahissait mes poumons avec l’air déjà froid qui semblait vouloir congeler mes os. Les arbres nus comme de grands cadavres, silencieux ou bien sifflant des airs lugubres, étaient exposés là aux regards indiscrets. Ils refusaient de cacher et protéger les nids d’oiseaux qui durant l’été ont vu passer la vie d'une génération à l’autre. Ils semblaient me dire ma fragilité : je viens de cette terre généreuse mais j’y retournerai.

Je suis allé voir la source qui m’a tellement attiré au printemps et à l’été. Elle gazouillait toujours, aussi généreuse. Mais résistera-t-elle aux froidures qui déjà forment des frissons aux sapins des alentours et semblent menacer de faire cesser son gazouillis mystérieux et envoutant? Pourra-t-elle encore attirer, rassembler, rassasier?

L’automne est pour moi un temps de questionnements. Que viendra-t-il après lui? Même viendra-t-il encore quelque chose? Est-ce la mort ou une promesse de renouvellement? Est-ce que les élans vitaux ont épuisé leur énergie? Déjà l’hiver pointe. Y a-t-il d’autres énergies, encore plus mystérieuses, qui germeront de ces moiteurs ensevelies?

Un homme éblouissant d’humanité comme Dieu rêve que nous soyons, et Enfant de Dieu,  appelé Jésus de Nazareth, a connu ce printemps sur les collines fleuries de Galilée et avec les foules avides de parole et de pain.  Il a connu l’été torride des luttes pour que les semences poussent et passent aux fruits. Puis est venu sur lui l’automne comme un linceul. On l’a élevé sur un arbre de mort, sans feuilles ni fruits. Mais par Lui je sais que l’automne n’est pas la dernière saison. Il a passé à travers l’hiver du tombeau et en est sorti vivant, plus vivant que jamais, vivant pour toujours. Il nous promet qu’après l’automne viendront des jours nouveaux, un peuple nouveau, un monde nouveau.

À travers ses pertes, ses fragilités, ses incertitudes, l’automne nous permet d’espérer une vie neuve, réconciliée, pacifiée, éternelle.

† Roger Ébacher
Évêque émérite de Gatineau

vendredi 21 octobre 2011

Les chrétiens en Terre Sainte

« Qu’attendez-vous des chrétiens qui vivent en Terre Sainte? ». Voilà la question que m’a récemment posée en me regardant dans les yeux Mgr Elias Chacour, archevêque grec-catholique de la Galilée, dans la partie nord d’Israël.

J’ai été très impressionné par cet homme rayonnant de vitalité et d’Évangile. Il m’est apparu comme un prophète de notre temps.  Son paisible courage et son entêtement à prêcher la tolérance et l’écoute contre vents et marée me rappellent ces personnages bibliques envoyés par Dieu pour révéler son plan de fraternité universelle aux humains sans cesse déchirés par tant de peur, de haine, de répulsion mutuelle. Il est un veilleur pour sans cesse réchauffer l’espérance dans un monde de désespoir.

Il se décrit  lui-même d’abord comme un homme, un être humain parmi tous les autres humains de la terre. Puis il précise qu’il est un arabe palestinien. Les récits de ce qu’il a vécu avec ses parents lors de l’arrivée des soldats israéliens dans son village sont dramatiques : expulsion, expropriation de leurs biens. Ils sont devenus des nomades, des apatrides dans cette terre de leurs ancêtres et de Jésus cet homme de Galilée. Il ajoute qu’il est un chrétien, un  prêtre melkite. Son ministère s’est déroulé  dans un humble village appelé Ibillin, près de Nazareth. Là il a construit une école qui est devenue avec ses 4500 enfants et étudiants un lieu laboratoire de paix et une semence d’avenir où il fait s’assoir côte à côte des enfants musulmans, druzes, juifs et chrétiens. Enfin il se présente comme un citoyen israélien, le premier citoyen israélien à occuper un tel poste.

Il parle de ses diocésains comme de « pierres vivantes ». Il n’a pas à s’occuper des nombreux sanctuaires de toutes sortes, pierres d’autrefois qui racontent la Bible et sont visitées par des pèlerins et des touristes du monde entier. Les Pères Franciscains font très bien ce travail. Son souci va à toutes ces personnes qui vivent dans des conditions difficiles de coexistence et qui veulent, malgré les défis énormes, continuer à y témoigner de leur foi en Jésus notre Sauveur.

Résonne encore en moi sa question troublante : « Qu’attendez-vous des chrétiens qui vivent en Terre Sainte? ». Qu’est-ce que j’attends de ces « pierres vivantes »? Pourquoi est-ce important qu’elles demeurent dans le pays de Jésus au lieu de finalement fuir ce lieu si inhospitalier pour chercher ailleurs un peu de sécurité pour leurs enfants, un peu d’avenir pour leur famille? Mgr Chacour avec son clergé essaie de les convaincre de rester en Terre Sainte. Pourquoi? Et pourquoi est-ce important pour nous?

La réponse, tout comme la situation de ces populations,  est complexe. Leur peuple, et nous tous les humains de la terre, nous avons besoin de leur témoignage évangélique. Dans ce pays tourmenté, déchiré par d’incessants bains de sang mais où tant d’humains aspirent à y vivre leur simple humanité, les chrétiens sont les seuls à pouvoir y témoigner du pardon, de la possibilité d’une effective réconciliation dans une tolérance qui est respect de soi et de l’autre.

Oui, je veux ouvrir mon cœur à leur message si dur à porter puisqu’il déchire leurs chairs et leurs vies, mais si identifié à Jésus. En écoutant ce témoin d’une humanité qui veut vivre et faire vivre dans la réconciliation et dans la paix, j’entends dans mon cœur la parole de Jésus du haut de la Croix : « Père pardonne-leur… ». J’ai aussi vu en lui le Bon Samaritain, cet humain tellement humain qui se penche avec compassion sur tout être humain, avec un souci de réconciliation, d’acceptation mutuelle dans un vrai respect de l’ennemi comme de l’ami.

En somme, ses mots sont si nouveaux pour moi que je ne suis même pas sûr d’avoir été au moins un peu fidèle à son message. J'ai le goût d’aller lire l’un ou l’autre de ses nombreux écrits afin de mieux entendre sa question. Car c’est à mon cœur, personnellement, d’y répondre dans ma vie. Alors, je découvrirai peut-être quoi faire dans mon petit coin de la planète pour aider ces sœurs et frères et participer à bâtir un monde comme Dieu le veut : un monde de frères et de sœurs respectueux de leurs riches diversités dans l’unité de la même famille humaine et tendrement chérie par Dieu.

† Roger Ébacher
Évêque émérite de Gatineau

mercredi 12 octobre 2011

Changer de capitaine

L’archidiocèse de Gatineau aura bientôt 50 ans. Et maintenant il se prépare à accueillir son quatrième évêque.

L’évêque fondateur du diocèse est Mgr Paul-Émile Charbonneau. Il a participé à tout le Concile Vatican II. Il y a œuvré dans un petit comité d’évêques et d’experts qui a cherché intensément à introduire la préoccupation des appauvris et des blessés de la vie dans les préoccupations du Concile et dans ses textes. Mgr Charbonneau a ainsi contribué à sensibiliser l’Église catholique à la misère du monde et au souci d'offrir un Évangile de libération à notre humanité si prise dans tant de drames qui déshumanisent leurs victimes.

Le diocèse appelé alors Hull est le seul au Canada à avoir été fondé durant le Concile. Son premier évêque a semé dans les racines mêmes de notre vie ecclésiale en Outaouais ce souci des appauvris et le désir efficace de mettre en pratique les nouvelles orientations données à l’Église par ce Concile.

Son successeur, Mgr Adolphe Proulx, a avec une intensité neuve et une ténacité remarquable continué dans la même ligne. Il a voulu faire fructifier cet héritage. Il y a apporté toute sa fougue et sa capacité de poser des gestes concrets pour porter son message à la population d’ici, au ras de la rue et des médias.

J’ai donc le 6 mai 1988 accueilli un héritage très riche d’orientions à préserver dans une dynamique sans cesse à renouveler. Je vous laisse le soin d’évaluer ce que j’en ai fait. Mais j’ose affirmer que j’y ai investi mon cœur et mes énergies, avec un grand désir que le Concile continue son rayonnement parmi nous.

Et voilà qu’un nouvel évêque prend la relève : Mgr Paul-André Durocher. Il est une personne aux mille talents, dont il a su développer les multiples potentialités. Il arrive avec de précieuses expériences de vie qu’il saura partager avec les gens de l’Outaouais.

Il est bon, dans un tel moment historique de la vie de l’Église diocésaine de Gatineau, de réfléchir sur ce qu'est un évêque dans un diocèse. Comme je l’écrivais le 9 août 2011 : l’évêque est un don de Dieu à accueillir.

Don de Dieu, l’évêque est là pour nous rappeler que le salut reste toujours le fruit de l’initiative gratuite, prévenante et amoureuse de Dieu.

Don de Dieu, l’évêque est l’instrument vivant et libre de Jésus ressuscité, cet unique Pasteur, aujourd’hui encore rassemblant « ses brebis » (Jean 21,16) dans la foi, les sanctifiant par les sacrements et gouvernant vers la même mission son Peuple qu’est notre Église.

Don de Dieu, l’évêque est un envoyé, un missionnaire, un compagnon de missionnaires, un responsable de responsables de la mission dans l’Outaouais. Il est ainsi le soutien de notre commune responsabilité et il partage quotidiennement les soucis, les tâches, les joies et les peines de notre Église, selon son charisme propre dans l’ensemble des charismes et ministères si variés que nous portons ensemble pour la vie de notre monde.

Don de Dieu, l’évêque est le constant rappel que cette Église est née du cœur ouvert de Jésus sur la croix et qu’elle a pour mission de porter aujourd’hui  les projets et passions de son « Époux de sang » au centre des préoccupations du monde d'ici.
 
Je souhaite un fructueux et heureux ministère à Mgr Paul-André Durocher dans cette belle région de l’Outaouais.

† Roger Ébacher
Évêque émérite de Gatineau

mercredi 5 octobre 2011

Les outardes filent vers le Sud

Nous voilà à l’automne. Les outardes nous le disent par leurs cris et par leurs « volliers » bien organisés et si fascinants à contempler. Depuis plusieurs jours déjà, elles survolent notre région. Ce spectacle m’attire depuis mon enfance. J’y sens un symbole de liberté, d’élan, de solidarité. J’y perçois à l’œuvre la grande fidélité de la nature qui nous apporte avec régularité les quatre saisons avec leurs caractéristiques propres, leurs beautés, leurs défis, leurs peines aussi.

L’automne, c’est la terre qui se décore de ses plus belles couleurs. Pour quelques semaines, les feuilles passent du vert au rouge ou au jaune, dans une diversité et une harmonie de teintes qui défient les meilleurs peintres. La campagne est splendide dans cet étalage des coloris qui s’offrent selon les espèces d’arbres et la lumière du jour.

L’automne est aussi généreux. N’est-ce pas le temps du « bal des citrouilles », des foires maraichères de toutes sortes, des marchés remplis de fruits et légumes frais qui embaument et aiguisent l’appétit? Les champs et les vergers donnent avec prodigalité les produits de la terre et du travail des femmes et des hommes d’ici.  C’est une saison faste.

Mais l’automne, c’est aussi le retour au travail, parfois ardu et même harassant. Et puis, le départ des outardes et des canards prophétisent l’approche des froids hivernaux et des sombres journées de novembre.

Nous sommes au temps des récoltes. Mais déjà s’annonce le repos de la terre puis les semailles du printemps prochain.

Le livre biblique de la Genèse (1,31), après le récit de toute la création ajoute : « Dieu vit tout ce qu'il avait fait: cela était très bon ». C’est le même cri d’admiration qui jaillit de mon cœur devant cette saison qui manifeste à sa façon la beauté, la générosité, la fidélité de Dieu.

† Roger Ébacher
Évêque de Gatineau

lundi 3 octobre 2011

Les reliques du Saint Frère André

Ces jours-ci, les reliques du Frère André sont dans le diocèse de Gatineau. Comme les reliques de Thérèse de l’Enfant-Jésus il y a quelques années, une telle visite attire bien des gens. Car le Frère André a été très populaire  durant sa vie et continue de l’être 75 ans après sa mort. D’ailleurs l’Oratoire St-Joseph, où j’aime beaucoup aller prier quand je passe à Montréal, rappelle sa vie et attire des millions de personne chaque année. Ces gens témoignent que Dieu entend l’intercession qui passe par le cœur le Saint Frère André et qu’Il se fait proche de celles et ceux qui mettent en lui leur confiance. Beaucoup disent y expérimenter la vérité de ce qu’enseignait le Frère André : Dieu penche son oreille tout près de nos lèvres quand nous le prions de tout coeur.

André  Bessette a connu la misère. Il a été très jeune orphelin. Peu instruit, il a dû s’expatrier aux États-Unis pour trouver du travail. Après y avoir exercé divers métiers, il revient au Canada et veut devenir religieux. Mais comme il n'est pas instruit on le refuse dans une communauté de Frères enseignants. Finalement, l’évêque de Montréal est intervenu en sa faveur et il est accepté comme portier du collège. C’est dans ce travail si humble où prière, accueil et compassion tissent ses jours et ses nuits qu’il est devenu un merveilleux instrument de Dieu pour tellement de souffrants du corps, du coeur et de l'âme.

Ce phénomène de la dévotion aux reliques fait partie de ce que nous appelons la dévotion populaire. C’est là une profonde spiritualité catholique, collée à la vie. Elle jaillit d’une soif intime de Dieu. C’est une foi simple, proche du quotidien, ancrée dans la vérité même de la vie et de ses peines et souffrances. Cette spiritualité est faite de convictions vitales. Elle est d’abord animée par un sens profond de Dieu : de sa paternité, sa providence, sa présence amoureuse et fidèle à notre monde, à ses enfants les humains, surtout aux souffrants et aux abandonnés.
 
Cette foi engendre des sentiments intérieurs très forts face aux épreuves et contrariétés de toutes sortes.  Ses fruits vitaux sont la patience, le courage, le sens de la croix dans la vie quotidienne, l’ouverture aux autres. Étant avec d’autres dans ces moments de dévotion, on expérimente qu’on n’est pas seul à lutter, à travailler, à souffrir, à tenir bon. On y sent de la joie, de l’espérance, de la solidarité. On s’y sent en contact avec le saint ainsi vénéré. Il nous conduit tout près de Dieu  notre Père du ciel, où il est déjà au repos dans la paix et dans le triomphe de la vie éternelle.

† Roger Ébacher
Évêque de Gatineau

dimanche 2 octobre 2011

Mes 75 ans

Pour un évêque catholique, atteindre l’âge de 75 ans, c’est toucher une borne kilométrique qui lui indique un carrefour. Après cette date, son rythme d’activités et ses orientations d’engagements vont sans doute changer.  Car, comme le lui dit le Code de droit canonique : « L’Évêque diocésain qui a atteint soixante-quinze ans accomplis est prié de présenter la renonciation à son office au Pontife Suprême qui y pourvoira après examen de toutes les circonstances » (canon 401). Dans quelques jours (6 octobre 2011), ce texte s’appliquera à moi.

Je laisse repasser dans la mémoire de mon cœur la vidéo de ma vie.  Je revois mon enfance sur une ferme à Amos.  Mes parents y ont été des défricheurs.  Notre ferme était bien humble, mais permettait à la famille de vivre.  J’ai vite perçu que ma vocation n’était pas là. Il y avait la petite école du rang.  Mes parents et l’école primaire ont semé en moi une orientation de travail, de prière, de confiance en Dieu qui a marqué ma vie.

À la fin de mes études au collège d’Amos, l’appel à devenir prêtre s’est précisé dans mon cœur.  Je me revois prendre le chemin du Séminaire St-Paul d’Ottawa pour mes études théologiques. J’y ai vécu quatre années studieuses et calmes. Et dès mon ordination en 1961,  je suis nommé au collège d’Amos pour enseigner la philosophie.  Je pensais bien y passer ma vie. Cela n’a duré que quelques années.  À l’automne 1967, je fais le pas qui va changer radicalement ma vie : j'accepte d’œuvrer dans la pastorale du diocèse d'Amos.

Je me rappelle ces années d’un enthousiasme un peu débridé, d’un engagement sans limites.  Ce fut un temps d’expériences constructives et d’amitiés solides. Cet élan a duré jusqu’à ce que Jean-Paul II me nomme en 1979 évêque de la Côte-Nord.  Les grands espaces, les communautés très diversifiées, les beautés du fleuve, tout y a canalisé mes énergies encore jeunes, en plein maturité.  Que de visages de mineurs, de pêcheurs, de jeunes, d’autochtones, que de situations drôles ou dramatiques reviennent à ma mémoire.

Puis ce fut en 1988 le transfert à Gatineau.  Il y a quelque chose de dramatique à se sentir comme un vieil arbre déraciné à qui on demande de continuer à donner des fruits ailleurs! J’ai vécu ce nouvel enracinement de tout mon cœur.  Il fut je pense réussi.  J’ai mieux ici découvert la ville avec ses richesses et ses exigences.  J’ai œuvré dans un diocèse encore jeune, marqué par Vatican II et ses options fondamentales.  Ici, prêtres et laïcs œuvrent de multiples façons à vivre l’Évangile au quotidien.  La barque est parfois brassée fortement mais tient le coup!  Et je continue à naviguer jusqu’à ce que le Pape accepte ma démission et me nomme un successeur.

La vidéo de ma vie s’est déroulée trop vite.  J’aurais le goût de revoir bien des scènes. Ces images trop fugaces ne disent rien des jours lumineux et des nuits ténébreuses qui ont formé le tissu de ces années, ni des liens noués ou rompus.  Comme dans toute aventure humaine, j’ai eu de grandes joies, de beaux rêves, de merveilleux espoirs, mais aussi de cuisantes défaites et blessures, des déceptions et des peines.

Je suis ce que je suis devenu à travers ce tissage qui se fait et défait selon les temps, les lieux et surtout les personnes fréquentées.  À la toute veille de ces 75 ans, il me reste dans le cœur le goût de rendre de multiples actions de grâces à Dieu.  Il a semé dans mon cœur dès mon enfance un attrait pour lui.  Peu à peu il s’est révélé dans sa grande miséricorde, dans son étonnante fidélité.  Il m’a fait expérimenter, par un don lumineux de l’Esprit, la beauté et la chaleur d’une amitié avec Jésus.  Je me suis aussi lié d’amitié avec des saintes et de saints, ces amis de Jésus.  Je pense à Thérèse de l’Enfant Jésus, à François d’Assise.  Je pense aussi à toutes ces personnes, hommes et femmes, qui ont bâti les débuts de la société et de l’Église au Québec : Marie de l’Incarnation, les saints martyrs canadiens, Mgr de Laval, Catherine de Saint-Augustin, Jeanne Mance, Maisonneuve et tant d’autres.

Oui, je rends grâces à Dieu.  Il a caché un trésor dans mon cœur.  Il me reste à encore l’explorer et en vivre. Voilà un beau programme pour ma retraite.

† Roger Ébacher
Évêque de Gatineau