lundi 24 octobre 2011

L'automne

Que dire de cette saison tellement paradoxale? Elle peut briller de tous les feux et de toutes les couleurs. Elle peut être aussi tellement terne et sembler ne pas vouloir finir. L’automne est pour moi une saison déroutante. Elle donne les fruits promis par les semences du printemps et les fleurs de l’été. Puis elle dépouille la nature de ses ornements et laisse voir à nu ces grands arbres sans feuilles, ces champs rançonnés de tous leurs biens.

Je suis allé dans le Parc de la Gatineau un de ces jours où la nature s’est revêtue de sa plus belle robe. Le paysage était éblouissant de rouges, de jaunes, de rouilles, de verts. L’automne brillait dans toute sa beauté.

Allant et venant dans les routes de campagne, j’ai vu les abondantes récoltes de fruits et de légumes offertes aux passants pour les réjouir et les rassasier. C’était la fête aux marchés grands ou petits, permanents ou improvisés, qui étalaient ces générosités surabondantes de notre terre offerte à tout passant.

Puis je suis retourné quelques semaines plus tard. Marchant dans la forêt, les feuilles tombées crissaient des lamentations sombres sous chacun de mes pas. J’avançais lentement. Une senteur moite envahissait mes poumons avec l’air déjà froid qui semblait vouloir congeler mes os. Les arbres nus comme de grands cadavres, silencieux ou bien sifflant des airs lugubres, étaient exposés là aux regards indiscrets. Ils refusaient de cacher et protéger les nids d’oiseaux qui durant l’été ont vu passer la vie d'une génération à l’autre. Ils semblaient me dire ma fragilité : je viens de cette terre généreuse mais j’y retournerai.

Je suis allé voir la source qui m’a tellement attiré au printemps et à l’été. Elle gazouillait toujours, aussi généreuse. Mais résistera-t-elle aux froidures qui déjà forment des frissons aux sapins des alentours et semblent menacer de faire cesser son gazouillis mystérieux et envoutant? Pourra-t-elle encore attirer, rassembler, rassasier?

L’automne est pour moi un temps de questionnements. Que viendra-t-il après lui? Même viendra-t-il encore quelque chose? Est-ce la mort ou une promesse de renouvellement? Est-ce que les élans vitaux ont épuisé leur énergie? Déjà l’hiver pointe. Y a-t-il d’autres énergies, encore plus mystérieuses, qui germeront de ces moiteurs ensevelies?

Un homme éblouissant d’humanité comme Dieu rêve que nous soyons, et Enfant de Dieu,  appelé Jésus de Nazareth, a connu ce printemps sur les collines fleuries de Galilée et avec les foules avides de parole et de pain.  Il a connu l’été torride des luttes pour que les semences poussent et passent aux fruits. Puis est venu sur lui l’automne comme un linceul. On l’a élevé sur un arbre de mort, sans feuilles ni fruits. Mais par Lui je sais que l’automne n’est pas la dernière saison. Il a passé à travers l’hiver du tombeau et en est sorti vivant, plus vivant que jamais, vivant pour toujours. Il nous promet qu’après l’automne viendront des jours nouveaux, un peuple nouveau, un monde nouveau.

À travers ses pertes, ses fragilités, ses incertitudes, l’automne nous permet d’espérer une vie neuve, réconciliée, pacifiée, éternelle.

† Roger Ébacher
Évêque émérite de Gatineau