jeudi 24 novembre 2011

Une protestation justifiée et nécessaire

Le mouvement des « indignés » semble s’essouffler. Bien des obstacles se présentent sur son chemin : manque d’un leader charismatique pour faire valoir sa légitimité, des objectifs trop nombreux et diffus, les problèmes de la sécurité des personnes impliquées, des infiltrations indésirables. Mais une partie de la population mondiale et des jeunes en particulier lancent là un cri qu’il ne faut pas ignorer.

Car nous vivons une crise mondiale provoquée par un capitalisme exacerbé qui a obtenu des gouvernements, trop faibles pour lui résister, une déréglementation désastreuse pour des milliards de personnes sur notre planète. Quelques richissimes continuent à monter des fortunes colossales alors que les pauvres toujours plus nombreux meurent ou cherchent en masse des pays de refuge. Les idoles de l’argent, du profit sans limites et sans lois, la concurrence effrénée et les exigences de performance dans les placements font sans doute plus que jamais couler des larmes et du sang sur notre planète.

On peut certes différer d’opinion sur les méthodes employées et bien d’autres aspects de cette opération, mais il me semble que ce cri des « indignés », qui depuis des mois résonne dans tous les médias, doit toucher les cœurs. Il révèle les effets désastreux et déshumanisants de systèmes qui se mondialisent, mais sans aucune norme éthique, sans balises humanistes, morales et compatissantes pour les endiguer et les orienter vers le bien commun mondial. Nous vivons un phénomène très accéléré de mondialisation financière et économique. Mais est-ce que nous saurons aussi  mondialiser la solidarité, le respect des personnes et le souci du bien commun?

Sans lien avec ce cri des « indignés » mais visant aussi les cœurs pour les interpeler, le Conseil pontifical Justice et Paix du Vatican, à la suite des nombreuses interventions de Jean XXIII, Paul VI, Jean-Paul II et Benoît XVI,  a publié un document qui met en évidence ce qui est en jeu : l’avenir de la planète. Et il a voulu chercher, avec d’autres, des solutions pratiques pour cette humanité souffrante et désemparée.

Ce document a pour titre : « Pour une réforme du système financier et monétaire international dans la perspective d’une Autorité publique à compétence universelle ». D’entrée de jeu, le Conseil affirme : «L’actuelle situation du monde exige une action d’ensemble à partir d’une vision claire de tous les aspects économiques, sociaux, culturels et spirituels ». Le respect de la dignité inaliénable de la personne et la recherche intense du bien commun restent toujours des repères essentiels pour notre avenir

Le Conseil affirme fortement que la situation actuelle exige une réflexion nouvelle sur tout ce qui y est en jeu : « La crise économique et financière que traversent les pays interpelle tout le monde — les personnes et les peuples — à effectuer un discernement approfondi des principes et des valeurs culturelles et morales qui sont à la base de la vie sociale en commun. » Mais la crise engage aussi les agents privés et les autorités publiques compétentes au niveau national, régional et international, à une réflexion sérieuse sur les causes et les solutions de nature politique, économique et technique.

Le document cite Benoît XVI affirmant que la crise « nous oblige à reconsidérer notre itinéraire, à nous donner de nouvelles règles et à trouver de nouvelles formes d’engagement, à miser sur les expériences positives et à rejeter celles qui sont négatives. La crise devient ainsi une occasion de discernement et elle met en capacité d’élaborer de nouveaux projets. C’est dans cette optique que, confiants plutôt que résignés, il convient d’affronter les difficultés du moment présent ».

Les responsables doivent travailler à bâtir un équilibre nouveau entre les politiques et les finances afin d’éviter que les « lois du marché » continuent à faire la pluie et le beau temps sur toute la planète, précipitant des pays entiers dans la faillite et des populations dans la misère et la mort. Il faut en venir à respecter la personne humaine. Pour cela, il importe de mâter l’exacerbation de la convoitise, du profit instantané qui met en péril l’avenir de l’humanité et la qualité de l’environnement dont nous sommes responsables.

Les solutions sont complexes et semblent totalement échapper à nos prises personnelles. Mais est-ce vraiment le cas? Nous pouvons mettre en action dans notre vie quotidienne une contestation pratique du principe qu’on veut nous inculquer : « Il faut acheter, dépenser, pour que l’économie roule ». Chacun de nos achats individuels peut ou bien appuyer cette idée ou bien la contester.

Ainsi, quel sera notre critère de dépenses durant le « temps des Fêtes » déjà lancé avec fanfares et trompette par les parades du Père Noël et la publicité qui promet tous les bonheurs dans des gadgets de toutes sortes? Nous nous laisserons guider par la convoitise sans cesse tisonnée par  mille moyens techniques, publicitaires et musicaux? Ou bien nous réfléchirons sur ce qui est vraiment nécessaire, utile ou beau, et ce qui est éthiquement acceptable dans le montant de nos dépenses et dans ce que nous choisirons d’acheter?

La situation de notre planète et de notre humanité exige de notre part, au quotidien, une nouvelle sagesse. Et je suis convaincu que l’Évangile de Jésus nous l’offre. C’est un chemin de simplicité, d’humilité, de partage, de solidarité, de justice et de réconciliation des cœurs, des familles, de l’entourage. Voilà un chemin offert à tous et qui nous permet de faire notre petite part pour que notre monde devienne plus humain et plus comme Dieu le rêve depuis le début de l’existence humaine. Ce sont les gouttes d’eau qui finissent par alimenter l’océan.

Caritas in veritate : Encyclique de Benoît XVI

† Roger Ébacher
Évêque émérite de Gatineau