dimanche 19 février 2012

La crise mondiale économique et nos technologies

Je me souviens des émotions provoquées par la mort de Steve Jobs le 5 octobre 2011. Apparaissaient dans les divers médias des jeunes les larmes aux yeux devant leur tablette électronique. Ce fut un deuil immense ressenti douloureusement pas beaucoup. Steve Jobs, le grand visionnaire, le révolutionnaire de nos vies n’était plus. J’ai perçu là à quel point ces technologies prennent de la place dans nos vies, et pas seulement dans celle des jeunes.

Toutes les nouvelles technologies, dans les divers domaines de nos activités, portent des promesses et des espoirs. Pensons aux espoirs face aux développements dans les domaines médicaux, aux possibilités de solidarité qu’offrent les moyens actuels de communications à travers la planète, à l’amélioration de nos conditions de vie dans bien des domaines. Mais un regard attentif sur le drame mondial qui se joue actuellement, surtout depuis 2008, laisse voir que ces puissantes révolutions technologiques ont de bouleversantes conséquences sur des milliards de personnes, des millions de communautés humaines, des continents entiers. Les technologies investies au service d’une vision qui met en priorité absolue le profit à tout prix ont une puissance destructrice dramatique de notre humanité. Et les responsables financiers, économiques et politiques ne semblent pas en tirer les leçons.

Pourtant, bien des lumières rouges sont allumées partout dans le monde. Les sages répètent qu’une technologie qui prend le pas sur l’humain, une technologie où ce sont d’abord les impératifs de rentabilité qui priment, perd sa légitimée éthique et humaine. Entre de multiples réflexions dans ce sens, je cite l’affirmation très ferme de Benoît XVI le 9 juin 2011 dans son discours à tous les ambassadeurs qui venaient d’être accrédités auprès du Saint-Siège. Elle mérite une lecture attentive.

« Il convient de s’interroger sur la juste place de la technique. Les prouesses dont elle est capable vont de pair avec des désastres sociaux et écologiques. En dilatant l’aspect relationnel du travail à la planète, la technique imprime à la mondialisation un rythme particulièrement accéléré. Or, le fondement du dynamisme du progrès revient à l’homme qui travaille, et non à la technique qui n’est qu’une création humaine. Miser tout sur elle ou croire qu’elle est l’agent exclusif du progrès, ou du bonheur, entraîne une chosification de l’homme qui aboutit à l’aveuglement et au malheur quand celui-ci lui attribue et lui délègue des pouvoirs qu’elle n’a pas. Il suffit de constater les "dégâts" du progrès et les dangers que fait courir à l’humanité une technique toute-puissante et finalement non maîtrisée. La technique qui domine l’homme, le prive de son humanité. L’orgueil qu’elle engendre a fait naître dans nos sociétés un économisme intraitable et un certain hédonisme qui détermine subjectivement et égoïstement les comportements. L’affaiblissement du primat de l’humain entraîne un égarement existentiel et une perte du sens de la vie. Car la vision de l’homme et des choses sans référence à la transcendance déracine l’homme de la terre et, plus fondamentalement, en appauvrit l’identité même. Il est donc urgent d’arriver à conjuguer la technique avec une forte dimension éthique, car la capacité qu’a l’homme de transformer, et, en un sens, de créer le monde par son travail s’accomplit toujours à partir du premier don originel des choses fait par Dieu (Jean-Paul II Centesimus annus, 37). La technique doit aider la nature à s’épanouir dans la ligne voulue par le Créateur. En travaillant ainsi, le chercheur et le scientifique adhèrent au dessein de Dieu qui a voulu que l’homme soit le sommet et le gestionnaire de la création. Des solutions basées sur ce fondement protégeront la vie de l’homme et sa vulnérabilité, ainsi que les droits des générations présentes et à venir. Et l’humanité pourra continuer de bénéficier des progrès que l’homme, par son intelligence, parvient à réaliser. »

Est-ce que la présente crise sera un temps de discernement de ce qui est en jeu afin de trouver les chemins vers une humanité en voie de mondialiser la solidarité, où la dignité humaine de chaque personne a la priorité? Chaque personne, à son niveau et dans son milieu, peut apporter sa pierre à cette construction de notre avenir.

† Roger Ébacher
Évêque émérite de Gatineau