Frères et sœurs.
Le 12 octobre 2011 au matin, un
ami est venu à mon appartement pour m’offrir une icône de saint Jean-Baptiste. J’en
fus ému. Mon ami ne savait pas que ce jour-là était le premier de ma retraite.
Par lui, Jean-Baptiste venait m’indiquer le chemin. Comme il l’a fait il y a
2000 ans pour ses premiers disciples, il a pour moi pointé du doigt Jésus et
m’a dit : « Suis-le ». Depuis, l’icône de Jean-Baptiste est
fixée au-dessus de mon ordinateur!
Les hommes et les femmes qui
ont quitté la France pour la terre d’Amérique ont apporté la dévotion à saint
Jean Baptiste dans leurs bagages humains et spirituels.
Dès 1606, des colons français
se dirigeant vers l’Acadie firent escale le 24 juin à Terre-Neuve pour y célébrer
la messe. Le « Monument de la Foi », érigé sur la Place d’Armes de la
ville de Québec, rappelle la première messe sur l’ile de Montréal, le 24 juin
1615. Dès 1636, notent les Relations de Jésuites, nos ancêtres célébraient avec
enthousiasme et des deux côtés du fleuve la Saint-Jean, avec messes solennelles
et feux de joie.
Champlain, inspiré par les
valeurs de l’Évangile, a rêvé d’une civilisation où l’on vivrait, Français et Autochtones,
dans le respect de l’autre, l’enrichissement mutuel et la paix. Maisonneuve,
plantant la croix sur la montagne, donna à Montréal un héritage semblable. Marie
de l’Incarnation, Catherine de St-Augustin, Marguerite Bourgeoys, Jeanne Mance
ont fondé écoles, hôpitaux, refuges aussi bien pour les Autochtones que pour
les Français. Ces personnes et tant d’autres ont inscrit l’Évangile et ses valeurs
dans l’ADN de notre nation.
400 ans plus tard, saint Jean
Baptiste veut et peut toujours orienter notre cœur et notre discernement vers les
valeurs fondamentales pour notre avenir ensemble.
Jean-Baptiste fut l’enfant d’un peuple en panne
d’espérance et en mal de raisons de vivre. Il continue aujourd’hui sa
mission qui consiste à nous indiquer où puiser le courage de bâtir une société plus
juste, plus solidaire, capable de poser des gestes de réconciliation. Cette célébration
est une invitation à retrouver nos raisons de vivre dans le cœur d’un Dieu fait
homme qui, toujours, aime, accueille, pardonne, ouvre l’avenir. C’est une vaccination
contre la résignation passive, la fuite dans les distractions.
Jean-Baptiste fut l’enfant de la rencontre. Alors que
Marie, enceinte de Jésus, saluait Élisabeth, il dansa de joie dans le sein de
sa mère. Cette célébration nous invite à la joie de la rencontre de l’autre :
le réfugié, celui qui tend la main pour quelques sous et surtout pour un
accueil, un sourire. C‘est la joie de la fraternité universelle voulue par Dieu
et toujours à bâtir.
Jean-Baptiste fut l’homme du désert. Sa pauvreté
volontaire interpelle notre mode de vie, notre style de consommation et de
gaspillage, les blessures irréparables que nous imposons à la nature.
Jean-Baptiste fut le prophète à la parole dérangeante.
À tous, il dit : « Si quelqu'un a de quoi manger, qu'il partage avec
celui qui n'en a pas. » Aux détenteurs de pouvoir et de la force, il
dit : « Ne faites ni violence ni tort à personne. » Aux brasseurs
d’affaires et d’argent il dit : « N'exigez rien de plus que ce qui
vous a été fixé. » (Lc 3, 11-14) Notre célébration répercute l’appel de
Jean-Baptiste à la justice, à la sensibilité envers l’autre, à la générosité du
cœur. La fidélité à notre héritage culturel et spirituel appelle un supplément
d’âme, un sursaut de solidarité. Cette fête entretient le goût de bâtir une
société marquée par une attention aux marginalisés, aux blessés par la vie et par
la société.
Nous célébrons la naissance de Jean-Baptiste dans une
famille humble, mais bien enracinée dans la parenté et en bonnes relations avec
les voisins. Plus tard, sa mission sera
de ramener « le cœur des parents vers leurs enfants, celui des enfants
vers leurs parents. » Le couple et la famille sont les bases essentielles
de la société et de l’Église. Y sont précieuses les relations de tendresse, de
soutien, de consolation entre les grands-parents et les petits-enfants. Et notre
société vieillissante appelle un surcroît d’attention des enfants envers leurs vieux
parents qui risquent de se retrouver dans la solitude d’un appartement, où ils
ont la sécurité, mais peuvent manquer de tendresse et de réconfort de la part
des leurs.
Jean-Baptiste fut le témoin d’un Dieu qui aime et qui se
souvient. La plaque d’immatriculation de mon auto affiche : « Je me
souviens ». Que cette célébration de saint Jean-Baptiste et de notre fête
nationale nous rappelle d’où nous venons, de quelle tendresse nous sommes
aimés, quelle tâche est devant nous. Nous sommes appelés à devenir une tranche
d’humanité porteuse des valeurs évangéliques d’adoration envers Dieu notre Père,
de justice et de bonté envers tout humain, et d’admiration affectueuse et
protectrice de la nature.
Que l’Esprit de Jésus
ressuscité nous y guide!
Amen.
† Roger Ébacher
Archevêque émérite de
Gatineau.
Homélie du 24 juin 2017 à la
cathédrale St-Joseph de Gatineau