samedi 27 août 2011

La source, la soif

La source, toute source, m’attire, m’inspire, me fascine. Sa générosité, les profondeurs qu’elle creuse dans la terre, toutes ces communautés qu’elle attire à travers l’histoire me parlent.

François d’Assise exulte de joie et de reconnaissance devant « sœur Eau» : « Loué sois-tu, mon Seigneur, pour sœur Eau, qui est fort utile et humble, précieuse et chaste ». (Le cantique du soleil ou Louanges pour les créatures).

Je viens de lire un texte de Benoît XVI sur le sujet. Après avoir souligné que l’eau est un élément originaire de la vie et un des grands symboles premiers de l’humanité, il ajoute : « … la source, l’eau jaillissant toute fraîche du sein de la terre. La source est origine, commencement dans sa pureté; elle est encore limpide et intacte. Ainsi, la source apparaît comme l’élément proprement créateur, mais aussi comme le symbole de fécondité, de maternité » (Dans « Jésus de Nazareth, t. 1, Flammarion 2007, p. 265).

Les humains en  quête de vie et de rencontres trouvent toujours quelque source sur leur chemin. La Bible en témoigne d’un bout à l’autre de l’histoire humaine : du moment de la création dans la Genèse jusqu’au rassemblement final dans l’Apocalypse. Ces textes   montrent une humanité toujours hantée, fascinée ou détruite par le désert, la soif, la rencontre. La source est la vie, le sauvetage, l’avenir. La source est le lieu des retrouvailles, des mariages. Elle est aussi parfois hélas le lieu des guerres : encore aujourd’hui on se bat pour le contrôle et même l’usage exclusif des sources de certains fleuves à travers le monde.

Car les sources deviennent fleuves pour irriguer les déserts, rassembler des populations qui y voyagent, y construisent des villes, créent des empires et se battent pour en conserver la suprématie.

En revenant sans cesse à la source et au fleuve je ne peux pas ne pas évoquer le cœur de Jésus ouvert sur la croix (Jean 19, 33-37). Il  est toujours source au cœur d’un monde où des millions et millions meurent de soif, où notre Occident est enivré par ses grands succès technologiques mais aussi prisonnier de ses peurs et de ses besoins de protection et de sécurité. Toutefois, au plus profond, les cœurs sont assoiffés de spiritualité, de réconciliation et de paix.

Photo : la source au Centre de Solitude Champboisé en Outaouais.

† Roger Ébacher
Évêque de Gatineau

vendredi 19 août 2011

Le réfugié

Nous entendons des commentaires de toutes sortes au sujet les réfugiés. Aussi j’étais heureux de lire récemment le témoignage d’un réfugié qui a connu les camps d’extermination nazis, y a perdu tout et en particulier sa dignité, puis est devenu un sans patrie (voir : Élie Wiesel, « Tous les fleuves vont à la mer », mémoires 1, Seuil, 381). Son récit est dramatique. Il y décrit les attentes  prolongées, les interrogatoires humiliants, les terreurs de l’apatride perdu dans le monde.

« Devant le guichet, l’apatride que j’étais s’efforçait de faire la conquête de l’employée qui, de mauvaise humeur, ne daignait même par le regarder. Son bon vouloir m’était plus précieux que le consentement de la plus belle femme de Paris. J’étais pathétique, peut-même ridicule, je n’y pouvais rien. Cela fait partie de la condition même du réfugié. Il se sent partout de trop. Son temps se mesure en visas et sa biographie en tampons. Il n’a rien fait d’illégal, mais il est sûr d’être poursuivi. On le reconnaît à ses yeux cernés, sa démarche rapide, ses vêtement usagés. Il sourit pour amadouer, pour susciter le sourire. Il demande pardon à tout le monde; pardon de vous déranger, de vous importuner, de prendre votre place au soleil. »

Ca fait longtemps que je suis préoccupé de la situation des réfugiés et de l’accueil que nous leur réservons. Déjà au début des années 80, le drame des « boat people » vietnamiens, qui a alors tellement ému l’opinion publique et débloqué de remarquables générosités dans le public québécois, m’a beaucoup rejoint. Mais les boat people existent encore, et en abondance sur notre planète. Parfois on a quelques statistiques qui nous disent qu’ils se noient, qu’ils sont là refusé partout. Mais les statistiques nous disent peu sur les humains qui sont pris dans ces drames, la source de ces situations concrètes, les conséquences sur les familles et les pays.

En arrivant dans la région de l’Outaouais, j’étais heureux de découvrir le rôle de l'Accueil Parrainage Outaouais qui œuvre dans le domaine général de l’immigration, mais aussi offre soutien aux personnes qui doivent fuir des situations désastreuses pour leur vie et celle de leurs familles. J’ai noté avec grand intérêt que la ville de Gatineau a aussi des programmes qui touchent ces questions. Et au diocèse de Gatineau, nous avons développé un soutien au parrainage des réfugiés par leurs familles et leurs proches ou diverses institutions pendant de très nombreuses années. Malheureusement ce programme doit être actuellement mis en veilleuse.

Lorsque j’étais président de la commission des évêques du Canada qui traite de ces questions, nous avons publié un message sur le sujet  (Le Canada doit déployer tous les efforts pour accueillir dignement les personnes immigrantes et réfugiées). Il est toujours d’actualité, car je ne trouve pas que la situation des réfugiés s’améliore, ni chez nous ni dans le monde. Et c’est là un grand drame humanitaire alors que la famine, le manque d’eau, la guerre tuent sans arrêt sur notre planète et frappent les plus démunis. Le texte auquel je viens de référer peut nous fournir des points de repère pour des réflexions sur le sujet, qui n’est pas théorique mais tellement humain.

(Photo : monument en mémoire des vietnamiens des boat people et pour marquer l'accueil du peuple malaisien.  Il est situé dans la ville de Bidong en Malaisie.)

† Roger Ébacher
Évêque de Gatineau

mercredi 3 août 2011

La fraternité

J’ai lu récemment d’ Erich Fromm (dans L’art d’aimer, DDB 2007, p. 66) un texte que je trouve inspirant sur ce thème de la fraternité. Car nous avons bien besoin d’y réfléchir. La fraternité fait partie de la devise républicaine. C’est un beau mot d’ordre pour notre vie ensemble. Mais nous en sommes si loin, à tous les niveaux de nos relations, aussi bien celles entre proches que celles au plan international. Et il me semble que Fromm apporte un aspect qui peut dynamiser nos pensées sur le sujet. Je le cite :

« De toutes les formes d’amour, la plus fondamentale, celle qui sous-tend touts les autres, c’est l’amour fraternel. J’entends par là le sens de la responsabilité, la sollicitude, le respect, la connaissance de tout être humain, et le désir de promouvoir la vie. C’est de cet amour dont parle la Bible lorsqu’elle dit : Aime ton prochain comme toi-même. L’amour fraternel s’étend à tous les êtres humains; il se caractérise par un manque absolu d’exclusivité. Dès lors que je suis devenu capable d’amour, je ne puis m’empêcher d’aimer mes frères. Dans l’amour fraternel se réalise une expérience d’union avec tous les hommes, de solidarité et d’unicité humaine. Il se fonde sur l’expérience que tous nous ne faisons qu’un. Les différences de talents, d'intelligence, de connaissances apparaissent négligeables en regard de l’identité du noyau humain qui est commun à tous les hommes ».

La Bible nous affirme que nous sommes tous créés à l’image de Dieu. C’est un fondement solide pour affirmer l’égale dignité de chaque être humain, et donc le respect et l’amour fraternel dû à chacun.

C’est d’ailleurs ce que nous enseigne Jésus quand il affirme : « Mais vous êtes tous frères ». C’est aussi ce que nous montrent, au niveau de l’exemple stimulant, des personnes comme François d’Assise le petit frère universel, Charles de Foucault ou encore Mere Teresa de Calcuta.

N’est-ce pas le grand défi de notre monde en voie de mondialisation? Car seul l’amour peut détruire les barrières et les murs qui nous séparent les uns des autres. Seul l’amour fraternel peut être le chemin d’un monde de justice et de paix, dans le respect mutuel. Il faut en venir à « s’aimer les uns les autres » pour que cette devise ne reste pas un idéal sans force dynamique sur la réalité quotidienne.

† Roger Ébacher
Évêque de Gatineau