jeudi 26 avril 2012

La source du sens de ma vie

D’où me vient cette confiance en la vie qui me donne le goût de vivre en abondance? D’où me vient cette foi en la bonté du chemin où je marche, malgré mes faux pas si nombreux, mes errances dans des chemins perdus ou mes chutes dans le ravin? D’où me vient l’espérance que ma vie vaut la peine d’être vécue? Pour scruter un peu ces interrogations vitales, existentielles qui me talonnent, je sens le besoin de revenir à la source de mon être. C’est de là que jaillit l’appel à vivre et à croire en la vie.

Benoît XVI nous rappelle très bellement cette vérité essentielle et primale dans son message pour le 29 avril 2012, 49ième Journée mondiale de prière pour les vocations, dont le thème est : « Les vocations, don de l’Amour de Dieu ». J’en épingle quelques affirmations qui m’ont stimulées et que j’ai le goût de partager avec vous.

« La source de tout don parfait est Dieu Amour. […] L’Écriture Sainte raconte l’histoire de ce lien originel entre Dieu et l’humanité, qui précède la création elle-même. Saint Paul, écrivant aux chrétiens de la ville d’Éphèse, fait monter un hymne de reconnaissance et de louange au Père, Lui qui, avec une infinie bienveillance, met en œuvre, au cours des siècles, son dessein universel de salut, qui est un dessein d’amour. […] Nous sommes aimés par Dieu “avant” même de venir à l’existence ! Mû exclusivement par son amour inconditionnel, Il nous a “créés de rien” (cf. 2M 7, 28) pour nous conduire à la pleine communion avec Lui. »

Puis le pape nomme ce qu’il considère être « la vérité profonde de notre existence » : « Chaque personne humaine est fruit d’une pensée et d’un acte de l’amour de Dieu, amour immense, fidèle, éternel (cf. Jr 31, 3). Découvrir cette réalité change véritablement notre vie en profondeur. Dans une page célèbre des Confessions, saint Augustin exprime avec une grande intensité sa découverte de Dieu, suprême beauté et suprême amour, un Dieu qui lui avait été toujours proche, auquel il ouvrait enfin son esprit et son cœur pour être transformé : « Bien tard je t'ai aimée, ô beauté si ancienne et si nouvelle, bien tard je t'ai aimée! Et voici que tu étais au-dedans, et moi au-dehors. C’est là que je te cherchais. Tout disgracieux, je me ruais sur tes gracieuses créatures. Tu étais avec moi et je n’étais pas avec toi. Loin de toi, elles me retenaient, elles qui ne seraient, si elles n’étaient en toi. Tu m’appelas, crias, rompis ma surdité. Tu brillas, et ta splendeur a ôté ma cécité ; tu répandis ton parfum, je respirai, je soupirai, je t’ai goûté, et j’eus faim et soif; tu m’as touché, et je brûlai du désir de ta paix » (X, 27.38). Par ces images, le saint Évêque d’Hippone cherche à décrire le mystère ineffable de la rencontre avec Dieu, avec son amour qui transforme toute l’existence. »

En résumé, « il s’agit d’un amour sans réserve qui nous précède, nous soutient et nous appelle tout au long du chemin de la vie et qui s’enracine dans l’absolue gratuité de Dieu. »

Cette vision biblique de mon existence, de ma raison d’être, de mon appel fondamental est pour moi lumineuse, stimulante, souvent aussi consolante. Elle devient de jour en jour un très fort soutien à l’audace et au courage de mon espérance.

† Roger Ébacher
Évêque émérite de Gatineau

jeudi 19 avril 2012

La tribu à l’ère numérique

J’entendais récemment à la radio le compte-rendu de recherches sur les effets sur notre mémoire de n’avoir plus besoin de nous souvenir d’une foule de choses : nous trouvons tout en quelques clics sur le réseau Internet. Est-ce que tous ces nouveaux moyens de communication que sont les multiples et sans cesse variantes techniques des médias sociaux sont en train de faire de nous une nouvelle tribu : celle de l’ère numérique? Est-ce que ces techniques provoquent une certaine courbure de notre esprit, de notre mémoire, de nos sens pour faire des fervents de leur usage une nouvelle sorte de groupe humain?

Voilà une question qui mérite réflexion il me semble. Déjà elle me hantait en 1972. Les réflexions stimulantes et déroutantes de Marshall McLuhan dans la Galaxie Gutenberg, puis dans le Village global soutenant que nous revenions à la conscience pré-alphabétique de l’univers magique, me conduisaient à me questionner : « Est-ce que nous revenons en arrière de ce qui a produit toute notre civilisation : la culture grecque et son effort pour arracher l’humanité à la fascination de l’image et du mythe? Est-ce que par ces techniques nous rejoignons l’anonymat dépersonnalisé et communautariste d’avant l’arrachement de la pensée, de la raison et de la liberté de la glu (ou du terreau?) des images et de la collectivité? »

Et je me formulais cette question angoissante: « Face à cet apport fantastique d’images, face à ce qu’on appelle ce retour à la situation mythique, faut-il renoncer à l’acquis de toute notre tradition occidentale? Faut-il renoncer à l’esprit critique, au jugement personnel? En somme, est-ce que ces moyens de communication sociale sont déshumanisants? » Il me semble que cette interrogation est encore plus vive aujourd’hui, en particulier à cause de la rapidité des échanges multiples qui se vivent jour et nuit dans les nouveaux médias sociaux.

En 1972 aussi un document qui faisait suite à Vatican II posait de semblables questions : « Étant donné que les moyens de communication sociale incitent l’homme à l’évasion et à la rêverie, comment faire pour qu’ils ne le détournent pas de la vie réelle et de ses tâches? Comment éviter le laisser-aller, la paresse et une certaine atonie mentale? Comment empêcher enfin que l’incessante excitation de la sensibilité n’entrave l’exercice de la raison? »  En 2011, un congrès international est revenu sur ce document et sur ces questions.

Nous sommes dans l’année marquant le 50ième anniversaire du début du Concile Vatican II. Les situations de notre monde ont beaucoup changées. Les médias électroniques et surtout sociaux sont devenus des facteurs importants de mondialisation. Quelles sortes d’effets ont-ils sur nous?

Qu’en pensez-vous? Devenons-nous une nouvelle tribu où la proximité, l’intensité de nos relations et l’influence des médias électroniques font de nous des individus perdus dans une masse? Devenons-nous une « foule solitaire »? Ou bien ces merveilleux moyens de nouvelles relations humaines sont-ils de puissants facteurs d’humanisation de notre humanité en convergence sur elle-même pour prendre conscience de sa fraternité universelle et la bâtir jour après jour?

† Roger Ébacher
Évêque émérite de Gatineau

dimanche 15 avril 2012

La joie de croire en un Dieu qui nous aime

D’après mon expérience et mes cheminements, seul Dieu est la source d'une joie plus forte que les peines de la vie et les obstacles multiples qui se dressent sur nos chemins, parfois au point de nous empêcher de voir où l'on marche et où l'on va. C’est dans ma lecture et mon écoute répétées de la Bible que j’ai découverte cette source de joie jaillissant en abondance dans tellement de personnes qui y ont trouvé libération de leurs énergies intimes, vision du but de leur marche et élan d'enthousiasme courageux pour y aller. Même au cœur des détresses, il reste alors une lumière que rien ne peut éteindre : la joie de se savoir fidèlement chéri par Dieu.

Dieu est amour et donc joie dans sa vie intime : voilà ma foi. Et il m’a créé pour partager avec moi cette joie en me comblant de sa présence fidèle et forte, même dans ce qui semble souvent son absence et sa faiblesse. Je pense ici par exemple à la croix de Jésus! Benoît XVI l’écrivait récemment aux jeunes du monde : «Dieu veut nous faire participer à sa propre joie, divine et éternelle, en nous faisant découvrir que la valeur et le sens profond de notre vie réside dans le fait d’être accepté, accueilli et aimé de lui, non par un accueil fragile comme peut l’être l’accueil humain, mais par un accueil inconditionnel comme est l’accueil divin : je suis voulu, j’ai ma place dans le monde et dans l’histoire, je suis aimé personnellement par Dieu. Et si Dieu m’accepte, s’il m’aime et que j’en suis certain, je sais de manière sûre et certaine qu’il est bon que je sois là et que j’existe ».

Je suis frappé par la joie que perçoivent les évangélistes dans les débuts de l’histoire du Fils de Dieu parmi nous. Il est venu planter sa tente au cœur de notre humble camp quotidien avec tous ses aléas de touts sortes. Benoît XVI résume bien cette constatation : « Lorsque l’ange Gabriel vient annoncer à la Vierge Marie qu’elle deviendra la mère du Sauveur, il commence par ces mots : " Réjouis-toi ! " (Luc 1, 28). Lors de la naissance du Christ, l’ange du Seigneur dit aux bergers : « Voici que je vous annonce une grande joie qui sera celle de tout le peuple : aujourd’hui vous est né un Sauveur, qui est le Christ Seigneur. " (Luc 2, 11) Et les mages qui Cherchaient le nouveau-né, " quand ils virent l'étoile, ils éprouvèrent une très grande joie ". (Matthieu 2, 10) Le motif de cette joie est donc la proximité de Dieu, qui s’est fait l’un de nous. C’est d’ailleurs ainsi que l’entendait saint Paul quand il écrivait aux chrétiens de Philippes: "  Soyez toujours dans la joie du Seigneur ! Laissez-moi vous le redire : soyez dans la joie ! Que votre sérénité soit connue de tous les hommes. Le Seigneur est proche. " (Philippiens 4, 4-5) La première cause de notre joie est la proximité du Seigneur, qui m’accueille et qui m’aime ».

On peut encore et encore multiplier les exemples de personnes qui, rencontrant Dieu vivant et tout proche en Jésus de Nazareth, ont reçu au cœur de leur vie une source inépuisable de joie. Par exemple, jetons un œil à Zachée, ce collecteur d’impôts détesté et considéré comme voleur auquel Jésus déclare : «Il me faut aujourd’hui demeurer chez toi ». Et Zachée  « le reçut avec joie » (Lc 19, 5-6). C’est la joie de sentir dans le profond de notre être l’amour de Dieu qui peut transformer toute l’existence et apporter une libération intime que rien ne peut remplacer.

La joie est le signe de sa présence de l’Esprit-Saint en nous. Quand notre cœur s’ouvre à son action, ce fruit d’une joie intime que rien ni personne ne peut nous enlever pousse dans notre cœur.

† Roger Ébacher
Évêque émérite de Gatineau

vendredi 13 avril 2012

Une rencontre unique qui donne la joie

Je me suis demandé récemment : à quel moment est-ce que j’ai ressenti la plus grande joie dans ma vie. J’avoue qu’elle m’est advenue, comme un don gratuit, alors que je me sentais enfermé dans un tunnel sans issu, dont je ne voyais pas le bout et dans lequel je ne pouvais pas retourner en arrière. En somme, c’est dans un moment de profonde et noire détresse que j’ai expérimenté la joie véritable.

Quelqu’un est venu me rejoindre dans mon tunnel. Cette personne, que je n’osais même plus appeler mais qui est venue, c’est Jésus Ressuscité. Il fut pour moi comme l’illumination du midi au cœur de ma nuit, comme une fraicheur tombant sur mon cœur brûlant de fièvre. Il me fut présenté comme le soleil brûlant de juillet, mais tempéré et rendu amical par la douce brise venant du large d’un lac limpide. En somme, ce fut une visite inattendue qui a changé radicalement ma vie.

À partir de cette expérience je sens que Benoît XVI a raison quand il écrit aux jeunes : «Trouver et conserver la joie spirituelle procède de la rencontre avec le Seigneur, qui demande de le suivre, de faire un choix décisif, celui de tout miser sur lui. […] C’est la voie pour posséder la paix et le vrai bonheur au fond de notre cœur, c’est la voie de la véritable réalisation de notre existence de fils [et filles] de Dieu, créés à son image et à sa ressemblance ».

C’est à partir de cette expérience d’une rencontre personnelle avec le Ressuscité que les Saintes Écritures (la Bible) se sont mises à me parler. J’y ai reconnu la voix du bon Pasteur, de mon meilleur Ami, Lui qui est venu à moi dans ma détresse. Depuis, ces Paroles des Écritures font la joie de mon cœur et elles sont la lumière sur ma route de vie. Elles me fournissent des mots, des images, des exemples qui m’apprennent à voir comment Dieu le Père, Jésus, l’Esprit agissent dans ma vie, à les découvrir cachés au cœur des événements de mon quotidien. J’ai compris que l’alliance que Jésus a scellée avec moi à mon Baptême est la promesse qu’il ne m’abandonnera jamais. Quelle sécurité, quelle source inépuisable de joie quand on sait que nos amitiés et nos amours humaines sont si fragiles!

Dans la nuit de Pâques, l’Église exulte quand, après avoir béni le feu nouveau et l’avoir réparti dans toutes les mains pour éclairer tous les visages, elle chante sa joie pour la victoire de son Seigneur Jésus sur le péché et sur la mort : « Exultez de joie, multitude des anges… sois heureuse aussi, notre terre, irradiée de tant de feux… entends vibrer dans ce lieu saint l’acclamation de tout un peuple ! ». Quel merveilleux moment où nous prenons ensemble conscience d’être tellement aimés, aussi follement chéris.

Bon temps pascal.

† Roger Ébacher
Évêque émérite de Gatineau

mardi 10 avril 2012

Pâques : c’est une belle histoire d’amour

L’Évangéliste Jean (20,1-9) nous raconte ce qui s'est passé au petit matin du 9 avril de l’an 30 de notre ère près d’un tombeau tout près de Jérusalem. Une femme, que Jésus a guéri de tant de blessures et de rejets, maintenant atterrée de ce qu’on Lui a infligé les jours précédents, jusqu’à Le tuer et L’enfermer dans ce tombeau fermé par une grosse pierre, vient pleurer Celui qu’elle aime. Mais elle trouve le tombeau ouvert et vide. Elle va en toute hâte crier sa douleur et alerter deux autres amis de Jésus, dont le « disciple bien-aimé ». Ces deux disciples, poussés par une angoisse qui les étreint, courent au tombeau. C’est l’amour qui les fait ainsi se précipiter en ce lieu. Le tombeau est bien vide. Et il y a des signes que le « bien-aimé » sait déchiffrer : Il est ressuscité! Tout s’éclaire. Dieu avait promis, il tient parole. Il y a de l’avenir.

Oui Dieu avait promis! Car Dieu a tellement aimé le monde!  Dès les débuts, dans sa tendresse pour eux, il a revêtu Ève et Adam de peaux de bêtes, il a protégé Caïn contre les vendettas par un signe sur son front, il a confié ses projets à Noé pour le sauver ainsi que sa famille et tous les vivants. Surtout il a appelé Abraham pour en faire son ami et il lui a promis qu’en son descendant seraient bénies toutes les nations de la terre. Ce matin d’avril 30 est l’accomplissement de toutes les promesses du Dieu qui s’est toujours montré d’une bouleversante fidélité.

Là, dans la clarté du soleil levant, éclate aux yeux des amis de Jésus jusqu’où est allé cet amour. Ils n’avaient pas compris. Ils avaient été horrifiés et angoissés. L’un d’eux l’a trahi. Un autre l’a renié. Tous, ou presque, ont fui quand les chefs du peuple et les païens  L’ont arrêté, humilié, torturé, exposé nu à la risée de la foule, tué et mis en ce tombeau. Maintenant tout devenait clair! Oui,  Dieu a aimé d’un amour déconcertant le monde au point de donner son Fils pour que toute personne qui croit en lui ait la vie plus forte que le mal et que la mort : la vie éternelle (Jean 3,16). En ce matin de la résurrection de Jésus, nous voilà à l’épicentre de cette bouleversante histoire.

Mais elle n’était pas terminée. Brûlés par le Feu de l’Esprit du Ressuscité, ses amis maintenant sûrs d’être follement aimés se sont mis à proclamer cette bouleversante nouvelle : Il est vainqueur de la mort, Il est vivant. Ca fait deux mille ans qu’on se raconte de génération en génération ce récit et ca continue encore. C’est un Feu qui ne peut pas s’enfermer dans les entrailles du cœur : il doit rayonner et offrir la Bonne Nouvelle, même au risque du rejet, du mépris, du martyr. Et ils sont encore aujourd’hui des milliers qui chaque année meurent pour avoir affirmé par leur capacité d’aimer et de pardonner que Jésus est vainqueur du mal, de la haine, de la mort et qu’il y a de l'avenir pour toute personne qui consent à se laisser aimer par Dieu, qui consent à devenir en Jésus l’enfant bien-aimé capable de dire à Dieu avec tendresse et confiance : « Père ».

† Roger Ébacher
Évêque émérite de Gatineau

samedi 7 avril 2012

Le Crucifié Ressuscité

Comme à chaque printemps, le Peuple chrétien se rassemble, durant la Sainte Semaine, autour de la croix, du pain et du vin, du feu nouveau et de l’eau baptismale. Il y puise aux sources de sa vie : le cœur ouvert du Crucifié, fontaine inépuisable capable d’assouvir nos soifs les plus angoissantes qui sans cesse aspirent vers une vie qui nous fuit.

Depuis le repas d’un certain Jeudi soir, la table est prête et le vin est versé. « Prenez et mangez, ceci est mon corps livré et rompu pour vous. Buvez, ceci est mon sang versé jusqu’à la dernière goutte pour vous » (Matthieu 26,26-29).  Le raisin écrasé est devenu sang généreux et don de vie (Jean 15,1ss).

Depuis le coup de lance au cœur, la source jaillit, généreuse, au centre de l’Église. « Aussitôt, il en sortit du sang et de l’eau » (Jean 19,34). Du côté du Nouvel Adam endormi surgit l’Église. L’eau du baptême et le sang de l’eucharistie sont pour toujours les rendez-vous de la fête et de la vie.

Jésus de Nazareth est né pauvre, n’ayant qu’une crèche pour l’accueillir et des gens méprisés pour l’admirer. Il a travaillé de ses mains pour gagner sa vie. Il a multiplié les paroles et les gestes de miséricorde. Puis ridiculisé, bafoué, renié, abandonné, il est mort sur une croix. Mais il est ressuscité!

Le grain de blé enfoui en terre s’est relevé épi, communauté (Jean 12,24). L’abandonné sur la croix s’est relevé peuple immense. Le Vendredi Saint et Pâques sont devenus fêtes d’une vie donnée en abondance. Oui, aux sources de la vie, tout un peuple vient puiser.

De ses plaies suinte ma guérison. Son dernier cri me donne le pardon. Son souffle m’envahit. Une folle soif me hante : le voir face à face, lui, le Ressuscité et en témoigner dans ce monde qui se sent si seul.

Mais il me redit sans cesse qu’il me faut d’abord le reconnaître défiguré et caché sous les espèces de l’affamé, de l'assoiffé, de l’étranger, du malade, du prisonnier. Toute personne opprimée, c’est Jésus Crucifié. Et, pour ressusciter, il attend de moi un regard de tendresse sur sa face défigurée.

† Roger Ébacher
Évêque émérite de Gatineau

Ce texte fut d’abord publié dans la Revue Ste-Anne en avril 2011 

mercredi 4 avril 2012

La torture

Une information récente reproduite dans plusieurs médias suite à un texte de la Presse Canadienne est très surprenante et m’interroge profondément. Elle porte sur la torture et elle affirme que « le gouvernement fédéral a autorisé les services canadiens d'espionnage à fournir des informations à des agences étrangères même s'il existait un " risque important " que cela mène à de la torture ».  On y parle aussi « d'un arrêté ministériel autorisant l'utilisation d'informations extorquées sous la torture, dans les cas où la sécurité publique est en jeu ».

Qu’en dit le droit international tel que décrété par les Nations-Unies ou par d’autres organismes largement représentatifs? Dans Wikipedia, nous trouvons une réponse forte, convaincante : « La Déclaration universelle des droits de l'homme, adoptée le 10 décembre 1948 par l'ONU, est le premier texte international à déclarer illégale la torture, dans son article 5 : « Nul ne sera soumis à la torture, ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ». Les quatre Conventions de Genève adoptées en 1949 et leurs Protocoles additionnels (1977) prohibent la torture (qui ne s'identifie pas, malgré les ressemblances et les zones d'indiscernabilité, à la notion de « peine ou traitement cruel, inhumain ou dégradant »). D'autres textes internationaux ou régionaux l'ont, dans les années suivantes, interdite également. Le premier est la Convention européenne des droits de l'homme, adoptée en 1951 par le Conseil de l'Europe, qui est le premier traité interdisant la torture (article 3). » (2) Toutes ces prises de positions, à d’aussi hauts niveaux de responsabilités, montrent bien la gravité extrême de la question.

Qu’en dit l’Église catholique ? « Dans le déroulement des enquêtes, il faut scrupuleusement observer la règle qui interdit la pratique de la torture, même dans le cas des délits les plus graves: " Le disciple du Christ rejette tout recours à de tels moyens, que rien ne saurait justifier et où la dignité de l'homme est avilie chez celui qui est frappé comme d'ailleurs chez son bourreau " [Citation de Jean-Paul dans un discours au comité international de la Croix-Rouge, 15 juin 1982]. Les instruments juridiques internationaux relatifs aux droits de l'homme indiquent à juste titre l'interdiction de la torture comme un principe auquel on ne peut déroger en aucune circonstance. »

De telles prises de positions, aussi explicites et aussi catégoriques par de telles instances internationales ne peuvent que nous pousser à réfléchir intensément avant d’adhérer au principe que certaines circonstances pourraient justifier une telle attaque à la dignité inaliénable de toute personne humaine.

† Roger Ébacher
Évêque émérite de Gatineau

dimanche 1 avril 2012

Notre coeur est fait pour la joie

J’ai souvent expérimenté de l’inquiétude et même des moments d’angoisse dans mes pérégrinations pastorales. Je me rappelle ces bancs de brume sur les berges du St-Laurent. Quand j’y pénétrais soudain en auto, je me demandais, en pensant au fleuve tout proche, si je resterais sur le chemin. Et de plus loin encore dans ma mémoire me reviennent ces tempêtes hivernales alors que de forts vents poussaient une dense poudrerie sur le chemin et m’aveuglaient. 

Plus quotidiennement, j’ai connu et connais encore parfois de ces moments de lassitude. Alors jaillissent du fond de mon temps de jeunesse la phrase du poète : « Il pleure dans mon cœur comme il pleut sur la ville; d’où vient cette langueur qui envahit mon cœur? »  Ce mot exprime bien que notre cœur n’est pas fait pour une telle tristesse qui devient lourdeur et même dépression. Notre cœur est fait pour la joie! 

C’est ce qu’a récemment exprimé Benoît XVI dans son message aux jeunes pour le Dimanche des Rameaux 2012 intitulé: « Soyez toujours dans la joie du Seigneur ! ». (2)  «L’aspiration à la joie est imprimée dans le cœur de l’homme. Au-delà des satisfactions immédiates et passagères, notre cœur cherche la joie profonde, parfaite et durable qui puisse donner du "goût" à l’existence ». Et il ajoute que cela est particulièrement vrai pour les jeunes qui vivent « une période de continuelle découverte de la vie, du monde, des autres et de soi-même. C’est un temps d’ouverture vers l’avenir où se manifestent les grands désirs de bonheur, d’amitié, de partage et de vérité et durant lequel on est porté par des idéaux et on conçoit des projets ».

Mais ce besoin de joie vaut à tout âge. Et Dieu a mis sur nos chemins de nombreuses occasions de goûter la joie simple de vivre : face à la beauté de la nature, face au travail bien fait ou au service rendu avec cœur et gratuité.  Pensons encore aux  bons moments de la vie en famille, de l’amitié partagée, de la découverte de potentialités neuves qui s’offrent à nous, des compliments reçus des autres, de la capacité de s’exprimer et de se sentir compris. On pourrait allonger cette liste d’occasions de joies simples mais vitales, comme : l’acquisition de nouvelles connaissances que nous faisons par les études, la découverte de nouvelles dimensions de notre planète et de notre humanité par des voyages et des rencontres, la capacité de faire des projets pour l’avenir, la lecture d’une œuvre littéraire, l’étonnement admiratif devant un chef d’œuvre artistique, l’écoute de la musique ou d'un bon film. Voilà autant de sources potentielles de joies qui apportent paix, élan, énergies dans nos vies en y entretenant la certitude que la vie vaut la peine d’être vécue.

Benoît XVI ajoute toutefois : « Chaque jour, pourtant, nous nous heurtons à tant de difficultés et notre cœur est tellement rempli d’inquiétudes pour l’avenir, qu’il nous arrive de nous demander si la joie pleine et permanente à laquelle nous aspirons n’est pas une illusion et une fuite de la réalité ». Même au cœur de ces questionnements naturels mais qui peuvent toutefois devenir ténèbres en nous, une lumière jaillit, venant de notre foi : Dieu  nous aime avec fidélité, bonté, miséricorde et tendresse. Cette conviction intime et profonde apporte repos et paix.

† Roger Ébacher
Évêque émérite de Gatineau