mercredi 29 février 2012

Le jeûne : ouverture de notre cœur et de notre bourse

Il existe bien des sortes de jeûnes et bien des motifs divers de jeûner. Les prescriptions de jeûnes pour raisons de santé pullulent et des recherches  justifient scientifiquement ou mettent en question leur réels effets bénéfiques sur la santé. On connaît aussi les jeûnes pour des causes politiques, pour la défense des droits, pour imposer à l’opinion publique des causes jugées particulièrement cruciales ou urgentes. On parle aussi de jeûne dans les philosophies matérialistes ou athées.

On connaît peut-être moins maintenant les jeûnes religieux. Pourtant, toutes les religions, aussi bien les rites traditionnels d’initiation que les grandes religions qui façonnent la culture des peuples, ont des pratiques de jeûne. Quel en est le sens dans la tradition judéo-chrétienne?

Jésus a parlé du jeûne et a demandé qu’il se vive comme une pratique qui part du cœur et qui exprime la compassion pour les plus faibles : « Quand vous jeûnez, ne vous donnez pas un air sombre comme font les hypocrites : ils prennent une mine défaite, pour que les hommes voient bien qu'ils jeûnent. En vérité je vous le dis, ils tiennent déjà leur récompense. Pour toi, quand tu jeûnes, parfume ta tête et lave ton visage, pour que ton jeûne soit connu, non des hommes, mais de ton Père qui est là, dans le secret; et ton Père, qui voit dans le secret, te le rendra. Ne vous amassez point de trésors sur la terre, où la mite et le ver consument, où les voleurs percent et cambriolent. Mais amassez‑vous des trésors dans le ciel: là, point de mite ni de ver qui consument, point de voleurs qui perforent et cambriolent. Car où est ton trésor, là sera aussi ton cœur. »  Nous ne jeûnons pour tout simplement économiser de l’argent que nous accumulons ! Nous jeûnons afin de nous souvenir que nos vies comme celles des pauvres sont dans la main de Dieu qui est bon, miséricordieux et juste et qu’il nous demande de faire comme lui et de partager.

Jésus nous affirme même que c’est sur ce critère que nous serons jugés à la fin de notre vie : « Venez, les bénis de mon Père, recevez en héritage le Royaume qui vous a été préparé depuis la fondation du monde. Car j'ai eu faim et vous m'avez donné à manger, j'ai eu soif et vous m'avez donné à boire, j'étais un étranger et vous m'avez accueilli, nu et vous m'avez vêtu, malade et vous m'avez visité, prisonnier et vous êtes venus me voir.  Alors les justes lui répondront: Seigneur, quand nous est‑il arrivé de te voir affamé et de te nourrir, assoiffé et de te désaltérer, étranger et de t'accueillir, nu et de te vêtir,  malade ou prisonnier et de venir te voir?  Et le Roi leur fera cette réponse: En vérité je vous le dis, dans la mesure où vous l'avez fait à l'un de ces plus petits de mes frères, c'est à moi que vous l'avez fait.

Mais Jésus a reçu de son peuple cette tradition et ce sens du jeûne religieux. Depuis Abraham, on y désire faire ce qui plaît à Dieu. Mais en même temps on se demande ce qui, venant de nous, plaît vraiment à Dieu. Les réponses furent diverses. Mais une des réponses essentielles fut le culte qu’on lui rend. Toutefois, les prophètes ont sans cesse répété au peuple que le culte qui plaît Dieu n'est pas toujours celui que l’on croit ; et bien sûr qu’il faut un culte, mais il ne faut pas s’en contenter et surtout ne pas en perdre le sens pour le réduire à un ritualisme vide. Le jeûne faisait partie de ce culte, d’où une tendance à des jeûnes spectaculaires avec le sentiment très frustrant que Dieu n'est pas encore content de nous malgré toutes ces restrictions. Alors le prophète n’y va pas avec le dos de la cuiller ! Il rappelle que le Dieu que l’on sert est un Dieu libérateur, qui a arraché le Peuple opprimé de son dur esclavage et des menaces d’extermination. Nous devons l’imiter et avoir comme lui compassion, miséricorde, sensibilité et sens de la justice envers les opprimés et humiliés de toutes sortes. Dieu s’est donné avec tendresse et bonté pour faire justice aux opprimés. Nous avons à faire de même. Voilà le jeûne qui lui plaît. Le texte prophète qui suit est clair et mérite une lecture attentive. À travers ses hurlements  et ses cris pour nous réveiller et à l’aide aussi de ses évocations poétiques pour nous encourager, il dit clairement des vérités fondamentales que nous risquons toujours d’oublier. Car il est tellement actuel non seulement pour notre vie personnelle, mais aussi pour notre vie comme société riche dans une humanité en voie de mondialisation où des milliards, dont souvent nous exploitons à notre profit les ressources naturelles, meurent de faim, de soif, de maladies et de misères de toutes sortes en face de notre indifférence, de notre refus de voir, de notre cœur cadenassé et insensible!

« Crie à pleine gorge, ne te retiens pas, comme le cor, élève la voix, annonce à mon peuple ses crimes, à la maison de Jacob ses péchés. C'est moi qu'ils recherchent jour après jour, ils désirent connaître mes voies, comme une nation qui a pratiqué la justice, qui n'a pas négligé le droit de son Dieu. Ils s'informent près de moi des lois justes, ils désirent être proches de Dieu. "Pourquoi avons‑nous jeûné sans que tu le voies, nous sommes‑nous mortifiés sans que tu le saches?" C'est qu'au jour où vous jeûnez, vous traitez des  affaires, et vous opprimez tous vos ouvriers. C'est que vous jeûnez pour vous livrer aux querelles et aux disputes, pour frapper du poing méchamment. Vous ne jeûnerez pas comme aujourd'hui, si vous voulez faire entendre votre voix là‑haut! Est‑ce là le jeûne qui me plaît, le jour où l'homme se mortifie? Courber la tête comme un jonc, se faire une couche de sac et de cendre, est‑ce là ce que tu appelles un jeûne, un jour agréable à Yahvé? N'est‑ce pas plutôt ceci, le jeûne que je préfère: défaire les chaînes injustes, délier les liens du joug; renvoyer libres les opprimés, et briser tous les jougs? N'est‑ce pas partager ton pain avec l'affamé, héberger chez toi les pauvres sans abri, si tu vois un homme nu, le vêtir, ne pas te dérober devant celui qui est ta propre  chair? Alors ta lumière éclatera comme l'aurore, ta blessure se guérira rapidement, ta justice marchera devant toi et la gloire de Yahvé te suivra. Alors tu crieras et Yahvé répondra, tu appelleras, il dira: Me voici! Si tu bannis de chez toi le joug, le geste menaçant et les paroles méchantes, si tu te prives pour l'affamé et si tu rassasies l'opprimé, ta lumière se lèvera dans les ténèbres, et l'obscurité sera pour toi comme le milieu du jour. » (Isaïe 58, 1-10)

† Roger Ébacher
Évêque émérite de Gatineau

samedi 25 février 2012

Quelques réflexions sur le carême

Nous avons beaucoup de ressources disponibles pour réfléchir à ce qu’est le carême. Par exemple, il suffit de chercher ce mot  « carême » sur Google et nous avons plusieurs références disponibles. J’en signale une qui me semble facile à aborder et intéressante. En 29 questions et réponses brèves, on nous incite discrètement à entendre l’appel de Jésus à la conversion, en le suivant sur le chemin du désert où Dieu nous attend.

Il est aussi instructif de voir comment on célèbre l’entrée en carême dans plusieurs pays européens. Et nous ici?  C’est aussi une question à poser dans notre entourage!  On peut aussi regarder ce que le pape Benoît XVI a dit lors de la célébration de l’imposition des cendres.

Enfin, voici un très beau texte biblique qui nous ouvre avec générosité et courage au sens de ce temps liturgique si important pour les catholiques dans leur préparation à la grande fête annuelle de Pâques :

« Ils s'informent près de moi des lois justes, ils désirent être proches de Dieu. "Pourquoi avons-nous jeûné sans que tu le voies, nous sommes-nous mortifiés sans que tu le saches?" C'est qu'au jour où vous jeûnez, vous traitez des affaires, et vous opprimez tous vos ouvriers. C'est que vous jeûnez pour vous livrer aux querelles et aux disputes, pour frapper du poing méchamment. Vous ne jeûnerez pas comme aujourd'hui, si vous voulez faire entendre votre voix là-haut! Est-ce là le jeûne qui me plaît, le jour où l'homme se mortifie? Courber la tête comme un jonc, se faire une couche de sac et de cendre, est-ce là ce que tu appelles un jeûne, un jour agréable au Seigneur? N'est‑ce pas plutôt ceci, le jeûne que je préfère: défaire les chaînes injustes, délier les liens du joug; renvoyer libres les opprimés, et briser tous les jougs? N'est‑ce pas partager ton pain avec l'affamé, héberger chez toi les pauvres sans abri, si tu vois un homme nu, le vêtir, ne pas te dérober devant celui qui est ta propre  chair? Alors ta lumière éclatera comme l'aurore, ta blessure se guérira rapidement, ta justice marchera devant toi et la gloire de Yahvé te suivra. Alors tu crieras et Dieu répondra, tu appelleras, il dira: Me voici! Si tu bannis de chez toi le joug, le geste menaçant et les paroles méchantes, si tu te prives pour l'affamé et si tu rassasies l'opprimé, ta lumière se lèvera dans les ténèbres, et l'obscurité sera pour toi comme le milieu du jour.  Dieu sans cesse te conduira, il te rassasiera dans les lieux arides, il donnera la vigueur à tes os, et tu seras comme un jardin arrosé, comme une source jaillissante dont les eaux ne tarissent pas. On reconstruira, chez toi, les ruines antiques, tu relèveras les fondations des générations passées, on t'appellera Réparateur de brèches, Restaurateur des chemins, pour qu'on puisse habiter. »

Mais il faut passer des pensées et des paroles aux actes. Bon Carême de partage!

† Roger Ébacher
Évêque émérite de Gatineau

dimanche 19 février 2012

La crise mondiale économique et nos technologies

Je me souviens des émotions provoquées par la mort de Steve Jobs le 5 octobre 2011. Apparaissaient dans les divers médias des jeunes les larmes aux yeux devant leur tablette électronique. Ce fut un deuil immense ressenti douloureusement pas beaucoup. Steve Jobs, le grand visionnaire, le révolutionnaire de nos vies n’était plus. J’ai perçu là à quel point ces technologies prennent de la place dans nos vies, et pas seulement dans celle des jeunes.

Toutes les nouvelles technologies, dans les divers domaines de nos activités, portent des promesses et des espoirs. Pensons aux espoirs face aux développements dans les domaines médicaux, aux possibilités de solidarité qu’offrent les moyens actuels de communications à travers la planète, à l’amélioration de nos conditions de vie dans bien des domaines. Mais un regard attentif sur le drame mondial qui se joue actuellement, surtout depuis 2008, laisse voir que ces puissantes révolutions technologiques ont de bouleversantes conséquences sur des milliards de personnes, des millions de communautés humaines, des continents entiers. Les technologies investies au service d’une vision qui met en priorité absolue le profit à tout prix ont une puissance destructrice dramatique de notre humanité. Et les responsables financiers, économiques et politiques ne semblent pas en tirer les leçons.

Pourtant, bien des lumières rouges sont allumées partout dans le monde. Les sages répètent qu’une technologie qui prend le pas sur l’humain, une technologie où ce sont d’abord les impératifs de rentabilité qui priment, perd sa légitimée éthique et humaine. Entre de multiples réflexions dans ce sens, je cite l’affirmation très ferme de Benoît XVI le 9 juin 2011 dans son discours à tous les ambassadeurs qui venaient d’être accrédités auprès du Saint-Siège. Elle mérite une lecture attentive.

« Il convient de s’interroger sur la juste place de la technique. Les prouesses dont elle est capable vont de pair avec des désastres sociaux et écologiques. En dilatant l’aspect relationnel du travail à la planète, la technique imprime à la mondialisation un rythme particulièrement accéléré. Or, le fondement du dynamisme du progrès revient à l’homme qui travaille, et non à la technique qui n’est qu’une création humaine. Miser tout sur elle ou croire qu’elle est l’agent exclusif du progrès, ou du bonheur, entraîne une chosification de l’homme qui aboutit à l’aveuglement et au malheur quand celui-ci lui attribue et lui délègue des pouvoirs qu’elle n’a pas. Il suffit de constater les "dégâts" du progrès et les dangers que fait courir à l’humanité une technique toute-puissante et finalement non maîtrisée. La technique qui domine l’homme, le prive de son humanité. L’orgueil qu’elle engendre a fait naître dans nos sociétés un économisme intraitable et un certain hédonisme qui détermine subjectivement et égoïstement les comportements. L’affaiblissement du primat de l’humain entraîne un égarement existentiel et une perte du sens de la vie. Car la vision de l’homme et des choses sans référence à la transcendance déracine l’homme de la terre et, plus fondamentalement, en appauvrit l’identité même. Il est donc urgent d’arriver à conjuguer la technique avec une forte dimension éthique, car la capacité qu’a l’homme de transformer, et, en un sens, de créer le monde par son travail s’accomplit toujours à partir du premier don originel des choses fait par Dieu (Jean-Paul II Centesimus annus, 37). La technique doit aider la nature à s’épanouir dans la ligne voulue par le Créateur. En travaillant ainsi, le chercheur et le scientifique adhèrent au dessein de Dieu qui a voulu que l’homme soit le sommet et le gestionnaire de la création. Des solutions basées sur ce fondement protégeront la vie de l’homme et sa vulnérabilité, ainsi que les droits des générations présentes et à venir. Et l’humanité pourra continuer de bénéficier des progrès que l’homme, par son intelligence, parvient à réaliser. »

Est-ce que la présente crise sera un temps de discernement de ce qui est en jeu afin de trouver les chemins vers une humanité en voie de mondialiser la solidarité, où la dignité humaine de chaque personne a la priorité? Chaque personne, à son niveau et dans son milieu, peut apporter sa pierre à cette construction de notre avenir.

† Roger Ébacher
Évêque émérite de Gatineau

lundi 13 février 2012

La peine de mort

La légitimité ou non de la peine de mort revient sur la table de l’actualité. Certains voudraient qu’on ouvre à nouveau ce dossier ici. Mais c’est une question de portée mondiale et il est alors éclairant d’avoir en tête quelques chiffres sur le sujet.

95 pays ont aboli la peine de mort de leurs législations. 9 pays prévoient la peine de mort seulement pour des crimes exceptionnels. La plupart de ces pays n’ont procédé à aucune exécution depuis très longtemps. 36 pays prévoient la peine de mort dans leur législation, mais ne l’ont pas pratiquée depuis 10 ans. Enfin, 56 pays la pratiquent encore aujourd’hui, dont des pays aussi importants que la Chine et les États-Unis. Ce grand mouvement mondial contre la peine de mort est un signe du progrès de la conscience morale des populations de notre planète.

Voici la position du Canada telle que formulée par le Ministère de la Justice : « La peine capitale a été supprimée du Code criminel du Canada en 1976. Après plusieurs années de débats, le Parlement a décidé que la peine capitale n'était pas une peine appropriée. Les raisons à l'appui de cette décision reposaient sur le risque de condamnations erronées, sur les préoccupations découlant du fait pour l'État de mettre fin à la vie d'un individu et sur les incertitudes au sujet de l'efficacité de la peine de mort comme moyen de dissuasion ».  Ces raisons me semblent toujours valables.

Le catéchisme de l’Église catholique prend position sur ce sujet, mais sans exclure totalement la peine de mort dans des cas d’une extrême gravité.  Mais Jean-Paul II a accentué cette prise de position en se prononçant souvent et très fortement contre la peine de mort. Il a vu « l’aversion toujours plus répandue de l’opinion publique envers la peine de mort » comme un signe d’espérance et s’est engagé dans la promotion de ce refus par les législations des divers pays. Il est intéressant de noter que le Colisée à Rome est illuminé chaque fois qu’un pays décrète l’abolition de cette peine de mort.

Jan-Paul II a fait valoir qu’une société moderne dispose des possibilités nécessaires pour réprimer efficacement le crime en rendant inoffensif celui qui l’a commis sans lui ôter définitivement la possibilité de se racheter. Les méthodes non sanglantes de répression du crime sont préférables, car elles correspondent mieux au bien commun de la société et à la dignité inaliénable de chaque personne. Il faut alors reconnaître, dans cette aversion croissante de l’opinion publique de plusieurs pays contre la peine de mort est le signe d'une croissance dans la sensibilité, morale et humaine.

On a fait état de certains sondages dans la population canadienne affirmant qu’une majorité serait en faveur que soit ouvert à nouveau ce débat. Si tel est le cas, je considère que c’est là un signal qui nous pousse à nous interroger sur la qualité humaine et morale de notre société.  Quelle est la place dans nos valeurs dans le respect de la dignité inaliénable de toute personne humaine, même de celle de celui qui a bafoué sa propre dignité par des crimes odieux ? Et puis comment aller jusqu’à mettre en comparaison la peine de mort avec l’argent que ça coûterait de garder ces gens en prison !

† Roger Ébacher
Évêque émérite de Gatineau

jeudi 9 février 2012

Sommes-nous proches des personnes malades?

Je garde un souvenir très ému de mon bref séjour à Lourdes il y a quelques années. La beauté du site, l’histoire des apparitions, les grandes foules de pèlerins sont remarquables. Mais je fus surtout rejoint par le nombre de personnes qui arrivent de divers pays avec des malades. Elles les accompagnent jour et nuit, les soutiennent, stimulent leur espérance et leur prière. Beaucoup de jeunes, d’adultes, de personnes à la retraite donnent aussi de leur temps à chaque année pour y vivre l’accueil des malades qui ont besoin d’aide.

Ces personnes y ont une reconnaissance claire de leurs services. Ce puissant phénomène de générosité, de grand cœur, de courage dans le service est bien expliqué sur le site web de Lourdes : « Des centaines de milliers de bénévoles de Lourdes sont appelés des hospitaliers et hospitalières. Attention : ces termes ne sont pas à prendre dans le sens médical actuel, mais dans un sens premier : être hospitalier, c’est être accueillant, tout simplement. L’Hospitalité est une institution ancienne, originale et exceptionnelle fondée en 1885. Des chiffres : 200 hospitalités d’accompagnement (dans les diocèses, dans certaines congrégations religieuses..., et une seule hospitalité d’accueil dans les Sanctuaires, l'Hospitalité Notre-Dame de Lourdes.  100 000 bénévoles hommes et femmes de tous âges et du monde entier viennent servir chaque année. »

Jean-Paul II a bien senti ce besoin profondément humain et spirituel du service auprès des malades. Il l’a vu comme une nécessité qui s’impose, quels que soient les services publics de toutes sortes dans ce domaine. Ca fait déjà 20 ans qu’il nous a demandé de célébrer à chaque année, le 11 février, fête de Notre-Dame-de-Lourdes,  une journée spéciale dédiée aux malades et aux personnes qui les accompagnent, que ce soit dans les services publics ou dans les divers lieux privés. Son but était de nous « encourager à donner de notre temps, soutenir les malades, être attentif à leurs besoins ».

Car ce n’est pas qu’à Lourdes qu’on a besoin de telles personnes accompagnatrices. Ici, dans nos familles, dans nos paroisses, dans les résidences pour personnes âgées, handicapées ou en perte d’autonomie un tel besoin est criant. Dans son message pour cette année, Benoît XVI donne le sens profond de tels accompagnements : « Dans l’accueil généreux et aimant de chaque vie humaine et en particulier de celle qui est faible et malade, le chrétien exprime un aspect important de son témoignage évangélique, à l’exemple du Christ qui s’est penché sur les souffrances matérielles et spirituelles de l’homme pour le guérir. ». Et il ajoute : « À tous ceux qui travaillent dans le monde de la santé, comme aussi aux familles qui voient dans leurs proches le visage souffrant du Seigneur Jésus, je renouvelle mes remerciements et ceux de l’Église parce que par leur compétence professionnelle et dans le silence, souvent sans même mentionner le nom du Christ, ils Le manifestent concrètement ».

Divers instruments d’animation nous sont offerts, en particulier par les divers diocèses du monde, pour nous aider à vivre cette journée d’une façon dynamique, imaginative et stimulante. Mais la véritable stimulation à un tel engagement exigeant qui nous situe devant la douleur de l’autre doit venir du cœur. Cette journée mondiale est une incitation à vérifier la sensibilité efficace de notre cœur avec les personnes malades ou âgées que nous côtoyons, dont souvent nous avons la responsabilité. Cette motivation intime est essentielle car sans elle la personne du malade peut devenir un terrible fardeau alors que notre foi nous invite à y voir un frère ou une sœur tendrement aimée par Dieu et que Jésus nous demande de soutenir pour lui apporter consolation, espérance, un peu de joie.

Rappelons à notre cœur cette parole de Jésus : « J’étais malade et vous êtes venus me voir […] Dans la mesure où vous l'avez fait à l'un de ces plus petits de mes frères, c'est à moi que vous l'avez fait» (Matthieu, 25, 31ss).

† Roger Ébacher
Évêque émérite de Gatineau

dimanche 5 février 2012

Lumière et ténèbres

Les jours allongent depuis plus d’un mois.  J’aime le matin ouvrir les rideaux des fenêtres et percevoir les lueurs de l’aurore qui deviennent peu à peu la lumière du jour. Puis le soleil brille, c’est éblouissant de beauté. Quand il y a des nuages, la lumière luit quand même, plus forte que ces ténèbres qui semblent ne pas vouloir quitter nos lieux.

Quand je fais une recherche sur le web, pour le mot « lumière » on me donne plus de 17 millions de références! Pour le mot « ténèbres » je ne trouve qu’environ 8 millions! La lumière est deux fois plus importante que les ténèbres aussi bien dans nos vies personnelles que dans l’histoire du monde! Elle ravigote la vie des plantes et des animaux, elle donne élan et énergie. Elle chasse les ténèbres, met de la joie sur les visages et dans les cœurs.

Mais qu’est-ce que la lumière? Les physiciens la définissent comme l’ensemble des ondes électromagnétiques qui sont visibles par l’œil humain, c’est-à-dire les couleurs entre le violet et le rouge. On parle aussi de la vitesse de la lumière ou encore d’une année-lumière. Mais à travers toutes les cultures, la lumière est devenue un très puissant symbole. Toutes les religions se servent de cette image, en somme fort simple et fort mystérieuse, dans leurs évocations et interprétations du monde, de ses mystères, de son origine et de son devenir.

Et les ténèbres? « Les ténèbres sont d'abord un concept ou une croyance religieuse qui désigne le néant, la mort, l'état de l'âme privée de Dieu, de la grâce, et qui signifie privation totale de lumière, obscurité ». Les ténèbres sont une absence, une privation, une négation de lumière.

Dans la foi judéo-chrétienne, ces deux symboles sont très présents. La Bible commence par ces mots : « Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre. Or la terre était vide et vague, les ténèbres couvraient l'abîme, un vent de Dieu tournoyait sur les eaux. Dieu dit: "Que la lumière soit" et la lumière fut. Dieu vit que la lumière était bonne, et Dieu sépara la lumière et les ténèbres. Dieu appela la lumière "jour" et les ténèbres "nuit." » (Genèse 1,1)

Les Évangiles présentent Jésus, dès son incarnation, comme la lumière qui illumine la foi et rend fécond le corps de Marie sa mère, qui appelle des bergers à la crèche, qui guide des savants étrangers vers l’Enfant. « Au commencement était le Verbe et le Verbe était avec Dieu et le Verbe était Dieu. Il était au commencement avec Dieu. Tout fut par lui, et sans lui rien ne fut. Ce qui fut en lui était la vie, et la vie était la lumière des hommes, et la lumière luit dans les ténèbres et les ténèbres ne l'ont pas saisie. » (Jean 1, 1-5).

Un vieillard chantera Jésus comme la lumière attendue depuis des siècles par son peuple : « Maintenant, Souverain Maître, tu peux, selon ta parole, laisser ton serviteur s'en aller en paix; car mes yeux ont vu ton salut, que tu as préparé à la face de tous les peuples,  lumière pour éclairer les nations et gloire de ton peuple Israël » (Luc, 2, 29-31). Jésus est l’Astre venu d’en haut « pour illuminer ceux qui demeurent dans les ténèbres et l'ombre de la mort, afin de guider nos pas dans le chemin de la paix ». (Luc 1,79).

Nos Écritures parlent aussi des ténèbres. Dieu Lumière est à l’œuvre depuis les origines de tout. Depuis que les humains existent et s'enfoncent à travers mille chemins et par des choix personnels, sociaux, politiques dans les ténèbres, la lumière n’a pas cessé de briller au sein de ces ténèbres pour offrir sans cesse une ouverture vers l’avenir, une vie neuve.

Jésus notre Lumière est venu dans les ténèbres de notre monde pour les combattre. Cette lutte ne se déroule pas sur le plan physique, mais est d’ordre moral, spirituel, surnaturel. C’est une action qui éclaire les intelligences et réchauffe les cœurs. C’est un apport de vitalité neuve, d’élan vers l’avenir, de confiance, d'ouverture, de paix.

Et nous y sommes engagés comme croyantes et croyants en Jésus. Il nous a dit : « Vous êtes la lumière du monde » (Matthieu, 5, 14). C’est notre identité de personnes baptisées et notre mission. C’est ce que saint Paul explicite à ses jeunes convertis : « Tous vous êtes des fils de la lumière, des fils du jour. Nous ne sommes pas de la nuit, des ténèbres. Alors ne nous endormons pas, comme font les autres, mais restons éveillés et sobres. Ceux qui dorment, dorment la nuit, ceux qui s'enivrent, s'enivrent la nuit. Nous, au contraire, nous qui sommes du jour, soyons sobres; revêtons la cuirasse de la foi et de la charité, avec le casque de l'espérance du salut. Dieu ne nous a pas réservés pour sa colère, mais pour entrer en possession du salut par notre Seigneur Jésus Christ, qui est mort pour nous afin que, éveillés ou endormis, nous vivions unis à lui. C'est pourquoi il faut vous réconforter mutuellement et vous édifier l'un l'autre, comme déjà vous le faites. » (1 Thessaloniciens, 5, 5-11).

C’est en accueillant Jésus qui est la Lumière du monde que nous devenons lumières et que nous rendons notre monde un peu plus lumineux.

† Roger Ébacher
Évêque émérite de Gatineau

jeudi 2 février 2012

Les personnes consacrées à Dieu

De par notre baptême, nous sommes consacrés à Dieu. C‘est le sens de l’onction d’huile faite sur le front de la personne, enfant ou adulte, qui vient d’être baptisée. Il est important de nous rappeler cette consécration fondamentale, qui fonde notre dignité d’enfants de Dieu et qui doit marquer toute notre vie de chrétiennes et de chrétiens.

Mais depuis les premières siècles de la vie de l’Église, beaucoup ont senti un appel particulier à devenir encore plus intimement unis à Jésus et à le suivre dans sa vie de pauvreté, de chasteté, d’obéissance au Père, de consécration de soi à la prière, à la lecture et méditation des Écritures, au partage avec les pauvres, souvent aussi en communauté à l’imitation des apôtres vivant avec Jésus. Au cours des années et des siècles, ces formes diverses de vie contemplative et/ou apostolique se sont développées, ont abondamment rayonné, ont donné des fruits magnifiques et ont disparu.

Encore aujourd’hui, les formes de cette vie consacrée sont en mouvance. Les anciens Ordres monastiques, tels que Clarisses, Carmélites, Bénédictin(e)s, Dominicain(e)s, Franciscain(e)s, Trappistes(ines) traversent les siècles car ils attirent des personnes touchées particulièrement par l’appel à contempler les grands mystères de Jésus, sa naissance, sa mort et sa résurrection, dans la lumière du plan d’amour de Dieu et avec les lumières de l’Esprit-Saint. Des communautés contemplatives ont aussi été fondées plus récemment, comme les Servantes de Jésus-Marie de Gatineau.

Les communautés religieuses masculines et féminines fondées il y a quelques siècles pour des œuvres de charité (par exemple, les Sœurs de la Charité d’Ottawa, ou les Sœurs de la Congrégation de Notre-Dame, ou les Pères Spiritains et beaucoup d’autres) ont maintenant de la difficulté à assurer le renouvellement de leurs membres en Occident. Mais dans bien des pays du Sud, elles sont florissantes, et de nouvelles communautés actives autochtones y sont fondées. Elles ont d’immenses champs d’apostolat : écoles, hôpitaux, dispensaires, léproseries, animations de toutes sortes de lieux de ressourcement et encore bien d’autres œuvres.

Le Concile Vatican II a donné de nouvelles impulsions à la vie consacrée. Ainsi plusieurs communautés nouvelles sont nées, souvent dans la forme de groupe mixte ou de « famille ». Elles se définissent plus par des œuvres d’évangélisation que par des engagements auprès des personnes appauvries, sans toutefois négliger cet aspect. On peut penser à la Famille Myriam Beth’léhem, à la Communauté du Désert, des Béatitudes, du Chemin Neuf et bien d’autres. Par ailleurs, Vatican II a aussi ouvert la voie aux vierges consacrées, institution très ancienne en Église, qui avait disparu mais qui maintenant se développe peu à peu.

À chaque année depuis 1996, le 2 février, l’Église catholique célèbre la Journée de la vie consacrée. J’en profite pour rendre grâces au Seigneur Dieu pour toutes les personnes consacrées que j’ai rencontrées dans ma vie de chrétien, de prêtre et d’évêque. Particulièrement dans la région de l’Outaouais, mais aussi sur la Côte-Nord et en Abitibi, j’ai pu connaître et apprécier des femmes et des hommes d'une grande vitalité spirituelle, d’une générosité de cœur inépuisable, d’une présence attentive à Dieu et au monde autour d’elles. Même vieillissantes, ces personnes tiennent bon dans le service à la suite de Jésus qui a donné sa vie pour ses amis. Leurs présences dans nos sociétés, sans doute trop souvent discrètes et habituellement méconnues, méritent toute notre admiration pour leur humilité, leur générosité, leur ténacité, leur fidélité à l’Évangile.

Il est juste, beau et bon de nous en souvenir au moins une fois par année et de leur dire notre reconnaissance. Mais c’est tous les jours que ces personnes continuent dans la simplicité de soutenir la vie ecclésiale par leurs prières et leurs engagements.

† Roger Ébacher
Évêque émérite de Gatineau