vendredi 30 novembre 2012

Vatican II : la paix commence dans les cœurs

Nous vivons des temps de grandes tensions et divisions qui conduisent parfois à des guerres petits ou grosses. Aussi il est urgent d’écouter à nouveau l’enseignement que nous a donné il y a 50 ans Vatican II sur  la source la plus intime de la paix. Dans « L’Église dans le monde de ce temps » (par. 77ss). Les évêques ont lancé « un appel ardent aux chrétiens pour qu’avec l’aide du Christ, auteur de la paix, ils travaillent avec tous les hommes à consolider cette paix entre eux, dans la justice et l’amour, et à en préparer les moyens. »

Après avoir condamné la barbarie et l'inhumanité des guerres, aujourd’hui rendues encore plus cruelles par les armes scientifiquement mises au point et largement commercialisées, les évêques ajoutaient : « En ce qui regarde les problèmes de la paix et du désarmement, il faut tenir compte des études approfondies, courageuses et inlassables déjà effectuées et des congrès internationaux qui ont traité de ce sujet, et les regarder comme un premier pas vers la solution de si graves questions .» Toutefois, il faut rejeter la tentation de « s’en remettre aux seuls efforts de quelques-uns, sans se soucier de son état d’esprit personnel. Car les chefs d’État, qui sont les répondants du bien commun de leur propre nation et en même temps les promoteurs du bien universel, sont très dépendants des opinions et des sentiments de la multitude. Il leur est inutile de chercher à faire la paix tant que les sentiments d’hostilité, de mépris et de défiance, tant que les haines raciales et les partis pris idéologiques divisent les hommes et les opposent. »

Pour que la paix puisse advenir dans notre monde, il est urgent et nécessaire de renouveler nos mentalités afin d’en venir à un changement de ton dans l’opinion publique. Cette tâche concerte les éducatrices et les éducateurs des jeunes et aussi les responsables des médias qui forment l’opinion publique.  Qu’ils « considèrent comme leur plus grave devoir celui d’inculquer à tous les esprits de nouveaux sentiments générateurs de paix. »

Le grand défi qui nous concernent toutes et tous, c’est de changer nos cœurs afin de travailler ensemble au progrès de la paix dans le monde.  « Ne nous leurrons pas de fausses espérances. En effet, si, inimitiés et haines écartées, nous ne concluons pas des pactes solides et honnêtes assurant pour l’avenir une paix universelle, l’humanité, déjà en grand péril, risque d’en venir, malgré la possession d’une science admirable, à cette heure funeste où elle ne pourra plus connaître d’autre paix que la paix redoutable de la mort. »  Jésus a proclamé : « Heureux les artisans de paix, car ils seront appelés fils de Dieu. » (Matthieu 5, 9)

Notre marche ensemble vers la paix sur notre planète est dans le bon chemin quand nous accueillons l’œuvre de l’Esprit qui change les cœurs, quand nous cherchons activement la paix dans notre milieu de vie et que nous soutenons toutes les actions internationales en faveur de la justice, du partage, de la réconciliation. Voilà bien un chemin de bonheur pour notre humanité tellement déchirée, sans cesse versant larmes et sang sur son destin qui devient ainsi malheureux. Chacun et chacune commençant l’œuvre de paix dans son cœur, il y a espérance que le Christ Jésus Prince de la Paix (voir Éphésiens 2, 13-22)  parviendra à accomplir son cœur dans notre monde que Dieu veut rassembler dans une communauté d’amour et de fraternité.
(15e texte d’une série sur Vatican II)
† Roger Ébacher
Évêque  émérite de Gatineau

mercredi 28 novembre 2012

Vatican II, la guerre et la paix

Il y a cinquante ans, c’était la « guerre froide » confrontant les deux grands blocs américain et soviétique. On y a risqué en 1962, donc au tout début du Concile Vatican II, un affrontement meurtrier lors du blocus de Cuba.  L’intervention du pape Jean XXIII fut alors cruciale pour éviter ce désastre. Et juste avant de mourir Jean XXIII a pu signer l’encyclique qui a marqué son temps et est encore d’actualité : « Pacem in terris ».  Ce texte a d’ailleurs fortement inspiré l’intervention des évêques au concile sur ce sujet de la guerre et de la paix.

Depuis, la situation mondiale a bien changé. Nous vivons actuellement dans un monde éclaté où les guerres régionales, exacerbées par les disparités quant aux besoins fondamentaux et les fondamentalistes de toutes sortes, se multiplient au risque d’enflammer la planète.  Mais l’enseignement de Vatican II reste toujours actuel. Il va aux sources véritables de la paix dans son texte « L’Église dans le monde de ce temps ». (par. 77-90)

« La paix n’est pas une pure absence de guerre et elle ne se borne pas à assurer l’équilibre de forces adverses; elle ne provient pas non plus d’une domination despotique ». Elle est « œuvre de justice » (Isaïe 32, 17). « Elle est le fruit d’un ordre inscrit dans la société humaine par son divin fondateur, et qui doit être réalisé par des hommes qui ne cessent d’aspirer à une justice plus parfaite. » La paix n’est jamais une chose acquise une fois pour toutes : elle est sans cesse à construire.

Mais il faut ajouter que cette paix suppose la sauvegarde du bien des personnes, la libre et confiante communication entre les hommes des richesses de leur esprit et de leurs facultés créatrices. « La ferme volonté de respecter les autres hommes et les autres peuples ainsi que leur dignité, la pratique assidue de la fraternité sont absolument indispensables à la construction de la paix. Ainsi la paix est-elle aussi le fruit de l’amour qui va bien au-delà de ce que la justice peut apporter. »

En somme, les sources vitales de la paix à tous les niveaux de la vie humaine (de la paix dans le cœur à la paix mondiale en passant par la paix dans les couples, les familles, les peuples) sont la justice, fruit d’un véritable développement et d'un partage équitable des biens, et l’amour du prochain qui nous rend capables de dépasser nos limites, de reconnaître l’autre dans sa dignité et dans ses droits.

Pour nous, chrétiens, la source fondamentale de la paix est le Christ Jésus. « Car le Fils incarné en personne, prince de la paix, a réconcilié tous les hommes avec Dieu par sa croix, rétablissant l’unité de tous en un seul peuple et un seul corps. Il a tué la haine dans sa propre chair et, après le triomphe de sa résurrection, il a répandu l’Esprit de charité dans le cœur des hommes. » Œuvrer à la paix est un appel fondamental de notre foi. « Heureux les artisans de paix, car ils seront appelés fils de Dieu. » (Matthieu 5,9)
(14e texte d’une série sur Vatican II)
†Roger Ébacher
Évêque émérite de Gatineau

dimanche 25 novembre 2012

Vatican II et la politique

Depuis plusieurs mois, l’intégrité des élus responsables de notre destin politique est mise en question. Les allégations de corruption et de collusion pleuvent. Et l’existence même de la Commission Charbonneau montre que la population perçoit qu’il y a là un danger de grande ampleur pour notre vie civique. Mais ça ne semble pas être une histoire récente, d’après certaines recherches! Et le phénomène ne nous est pas réservé. Il semble bien enraciné en Chine, en Italie. Et il serait facile de multiplier les exemples.

De plus, l’activité politique semble se polariser de plus en plus et par le fait même polariser et diviser les populations. On parle du « combat politique » et des affrontements. La logique du conflit fait voir l’autre comme l’ennemi. Le réflexe du vainqueur est souvent d'ignorer les arguments et valeurs du vaincu. De telles mœurs politiques mettent en question la cohésion sociale et la paix.

Il faut s’interroger sur les principes éthiques qui sont à la base les choix politiques des candidats et des élus dans nos régimes démocratiques. Vatican II nous offre quelques pistes dans son document sur « L’Église dans le monde de ce temps » (par. 73-76). J’en épingle quelques aspects.

« Pour instaurer une vie politique vraiment humaine, rien n’est plus important que de développer le sens intérieur de la justice, de la bonté, le dévouement au bien commun, et de renforcer les convictions fondamentales sur la nature véritable de la communauté politique, comme sur la fin, le bon exercice et les limites de l’autorité publique. » (par. 73.5)

Une communauté existe « pour le bien commun; elle trouve en lui sa pleine justification et sa signification et c’est de lui qu’elle tire l’origine de son droit propre. Quant au bien commun, il comprend l’ensemble des conditions de vie sociale qui permettent aux hommes, aux familles et aux groupements de s’accomplir plus complètement et plus facilement. » (par. 74.1) Il s’ensuit que l’exercice de l’autorité politique dans une communauté humaine doit se vivre « dans les limites de l’ordre moral, en vue du bien commun. […] D’où, assurément, la responsabilité, la dignité et l’importance du rôle de ceux qui gouvernent. »

L’activité politique est un art très difficile, mais très noble. Elle exige que les personnes « s’y livrent avec zèle, sans se soucier de leur intérêt personnel ni des avantages matériels. Ils lutteront avec intégrité et prudence contre l’injustice et l’oppression, contre l’absolutisme et l’intolérance, qu’elles soient le fait d’un homme ou d’un parti politique; et ils se dévoueront au bien de tous avec sincérité et droiture, bien plus, avec l’amour et le courage requis par la vie politique. » (par. 75.6)

Ces principes éthiques sont capables, si vécus avec le soutien des citoyennes et citoyens, d’assainir les mœurs dans ce domaine si important et peuvent permettre à l’État de jouer son rôle par rapport à tous et particulièrement aux personnes les plus faibles et aux plus démunies, dans une optique de fraternité et de paix.
(13e texte de la série sur Vatican II)
† Roger Ébacher
Évêque émérite de Gatineau

vendredi 23 novembre 2012

La religion dans la société québécoise

On entend ou on lit souvent que la population du Québec fait partie des sociétés les plus sécularisées de la planète. Une telle affirmation appelle un peu d’analyse et de réflexion sur l’histoire récente de la population et de l’Église catholique au Québec. Elle exige aussi un regard sur la situation actuelle de pluralisme qui s’y vit. Et il est fort opportun de chercher à préciser certains mots tels que laïcité, liberté religieuse ou de conscience, qui peuvent devenir de faciles étiquettes au lieu d’éclairer une situation complexe et de faciliter à s’y situer.

Comment comprendre ce que nous vivons sans aucune perspective historique sur les liens séculaires entre la foi catholique et la société québécoise? Quelle est la situation actuelle du pluralisme dans notre société? Quelles sont les forces en opposition ou en lutte au sujet de la place de la religion dans les institutions publiques et dans la vie sociale sous ses diverses formes? Quels sont les grands traits de la vie catholique actuelle au Québec? Voilà quelques questions parmi tant d’autres qui circulent à ce sujet.

Ce sont de telles questions que tentent de clarifier les évêques catholiques du Québec dans un texte intitulé « Catholiques dans un Québec pluraliste ». Ils adressent ces réflexions aux catholiques du Québec. Mais c’est en même temps leur contribution à la réflexion collective et à la recherche de voies nouvelles où peuvent s’engager ensemble toutes les personnes de bonne volonté pour le bien commun de toute notre population.

On y décrit un nouveau pluralisme québécois, tant au niveau de la société qu’à l’interne à l'Église. Nous y trouvons le portrait bref mais suggestif d’un Québec et d’une Église marqués par une diversité sans cesse croissante pour de multiples raisons. Certes entre en jeu l’immigration. Mais il faut y reconnaître aussi le rôle des courants de déconfessionnalisation et de laïcisation, qui donnent un nouveau visage à l’Église d'ici. Et la circulation des idées par les médias sociaux et autres provoque l’apparition d'un pluralisme inédit et sans frontières.

Tous ces phénomènes conduisent à des oppositions et tensions aussi inédites dans notre milieu face à la religion et à sa place dans la société. Le catholicisme aussi apparaît travaillé par de multiples accents, parfois contradictoires. Et puis, il faut bien reconnaître que la fascination du religieux n’est pas éteinte et travaille le cœur de beaucoup.

Il est donc très opportun de développer une réflexion sur le pluralisme et la liberté religieuse chez nous. Les évêques affirment dans leur texte que la religion apporte une contribution positive à la société et est une composante essentielle de l'espace public. 

Ils cherchent aussi à préciser le langage. « La distinction entre "société pluraliste" et "institutions laïques" est à mettre en évidence, comme le souhait d'un "espace public ouvert et accueillant" ». On précise ce que signifient les concepts de laïcité, de sécularisation et de pluralisme. Et les évêques du Québec formulent quels types de relations ils considèrent justes entre le gouvernement, les institutions publiques et les religions au Québec.

En troisième partie du message, on identifie quelques éléments essentiels sur ce que c’est qu’être catholique dans la société qui est la nôtre. On trouve là en particulier des exposés sur l’Église locale, le diocèse, la paroisse, les engagements de toutes sortes qui donnent une image moins pessimiste que ces clichés dont nous inondent trop souvent certains médias et tribuns. C'est rafraichissant.

† Roger Ébacher
Évêque émérite de Gatineau

mercredi 21 novembre 2012

Vatican II et la vie économique

On sait que les bases idéologiques du capitalisme sont l’égoïsme devant automatiquement conduire au profit pour tous, et l’intérêt particulier.  Depuis 2008, pris dans une grave crise financière et économique, de plus en plus de responsables financiers et d’entrepreneurs acceptent de se questionner sur les bases de leurs choix professionnels.  Il me semble y avoir là quelque chose de nouveau, qui reste sans doute le fait d’une minorité.  Devant les désastres humains causés par leurs décisions, quelques responsables acceptent de se questionner sur les principes éthiques et les valeurs qui ont motivé leurs choix : le profit, l’efficacité, la compétitivité et le conflit, éclipsant en pratique les autres dimensions humaines fondamentales, telles que la solidarité avec le milieu social, le respect de l’environnement, la paix.

Vatican II avait déjà posé des bases solides pour une telle interrogation (voir « L’Église dans le monde de ce temps, par. 63-72). Y est formulé d'abord un principe fondamental qui vaut pour toutes les activités humaines: « Il faut honorer et promouvoir la dignité de la personne humaine, sa vocation intégrale et le bien de toute la société. C’est l’homme en effet qui est l’auteur, le centre et le but de toute la vie économico-sociale. » (par. 63.1)

Avec la mondialisation, l’accroissement de la population et l’élargissement des aspirations à un partage plus juste, il faut certes continuer à développer  la production agricole, industrielle et le volume des services offerts. « Mais le but fondamental d’une telle production n’est pas la seule multiplication des biens produits, ni le profit ou la puissance; c’est le service de l’homme : de l’homme tout entier, selon la hiérarchie de ses besoins matériels comme des exigences de sa vie intellectuelle, morale, spirituelle et religieuse; de tout homme, disons-nous, de tout groupe d’hommes, sans distinction de race ou de continent. C’est pourquoi l’activité économique, conduite selon ses méthodes et ses lois propres, doit s’exercer dans les limites de l’ordre moral, afin de répondre au dessein de Dieu sur l’homme. » (Par. 64)

Cela signifie que les développements économiques et financiers ne doivent pas être abandonnés entre les mains d’un petit nombre de personnes ou de groupes très puissants, ni au pouvoir politique ou aux pays les plus puissants. « Il convient au contraire que le plus grand nombre possible d’hommes, à tous les niveaux, et au plan international l’ensemble des nations, puissent prendre une part active à son orientation. Il faut de même que les initiatives spontanées des individus et de leurs libres associations soient coordonnées avec l’action des pouvoirs publics, et qu’elles soient ajustées et harmonisées entre elles. » (par. 65.1)

Le document conciliaire traite de beaucoup d’autres sujets rattachés à ce souci de faire en sorte que le bien commun et la paix non seulement locale mais mondiale soient visés par ces activités économiques et financières. Ainsi on parle des disparités économiques dans le monde, de la participation des travailleurs  et des conflits de travail, du lien avec la vie familiale et les loisirs, de l’accès à la propriété privée. Mais « quelles que soient les formes de la propriété, adaptées aux légitimes institutions des peuples, selon des circonstances diverses et changeantes, on doit toujours tenir compte de cette destination universelle des biens. » (par. 69). Tout un paragraphe aborde les investissements et questions monétaires ( par. 70). Enfin, on signale que « les chrétiens actifs dans le développement économico-social et dans la lutte pour le progrès de la justice et de la charité doivent être persuadés qu’ils peuvent ainsi beaucoup pour la prospérité de l’humanité et la paix du monde. » (par. 72)

Certes, ces principes fondamentaux ont été développés de multiples façons depuis et repris dans le Compendium de la doctrine sociale de l’Église.  Pensons aussi à l’encyclique de Benoît XVI sur « le développement humain intégral dans la charité et dans la vérité.» Nous avons là une source très féconde pour alimenter et orienter les recherches et les engagements dans ces domaines cruciaux pour la paix mondiale et l’avenir de notre planète.
(12e texte d’une série sur Vatican II)
† Roger Ébacher
Évêque émérite de Gatineau

dimanche 18 novembre 2012

Vatican II et la culture

La culture est importante dans notre société. Le mot lui-même a plusieurs sens.  On parle par exemple des industries culturelles. Le Concile Vatican II a réfléchi à cette réalité dans son document « L’Église dans le monde de ce temps » (par. 53-62). Il prend le mot au sens large. On y désigne « tout ce par quoi l’homme affine et développe les multiples capacités de son esprit et de son corps ; s’efforce de soumettre l’univers par la connaissance et le travail ; humanise la vie sociale, aussi bien la vie familiale que l’ensemble de la vie civile, grâce au progrès des mœurs et des institutions ; traduit, communique et conserve enfin dans ses œuvres, au cours des temps, les grandes expériences spirituelles et les aspirations majeures de l’homme, afin qu’elles servent au progrès d’un grand nombre et même de tout le genre humain. »

Des styles de vie divers et des échelles de valeurs différentes naissent de ces façons particulières de se servir des choses, de travailler, de s’exprimer, de pratiquer sa religion, de se conduire, de légiférer, d’établir des institutions juridiques, d’enrichir les sciences et les arts et de cultiver le beau.

Ce domaine de la culture se transforme sans cesse. « En même temps, l’accroissement des échanges entre les différentes nations et les groupes sociaux découvre plus largement à tous et à chacun les richesses des diverses cultures, et ainsi se prépare peu à peu un type de civilisation plus universel qui fait avancer l’unité du genre humain et l’exprime, dans la mesure même où il respecte mieux les particularités de chaque culture. » Un tel phénomène est un puissant appel à construire un monde meilleur dans la vérité et la justice. « Nous sommes donc les témoins de la naissance d’un nouvel humanisme ; l’homme s’y définit avant tout par la responsabilité qu’il assume envers ses frères et devant l’histoire. » En s’appliquant par exemple à la philosophie, à l’histoire, aux mathématiques, sciences arts, « l’homme peut grandement contribuer à ouvrir la famille humaine aux plus nobles valeurs du vrai, du bien et du beau, et à une vue des choses ayant valeur universelle. »

Le Concile a souligné les multiples connivences entre la culture et le message évangélique. « Car Dieu, en se révélant à son peuple jusqu’à sa pleine manifestation dans son Fils incarné, a parlé selon des types de culture propres à chaque époque. » L’Église a continué dans la même route au cours de son histoire bimillénaire. « Ainsi l’Église, en remplissant sa propre mission, concourt déjà, par là même, à l’œuvre civilisatrice et elle y pousse ; son action, même liturgique, contribue à former la liberté intérieure de l’homme. »

Bien des champs appellent alors au travail. On peut y voir une interpellation à travailler avec acharnement à ce que « des décisions fondamentales soient prises de nature à faire reconnaître partout et pour tous, en harmonie avec la dignité de la personne humaine, sans distinction de race, de sexe, de nation, de religion ou de condition sociale, le droit à la culture et d’assurer sa réalisation. »

Je vous invite à aller lire le document lui-même qui indique encore d’autres pistes pour qui veut s’engager dans ce domaine au nom de sa foi ou de son humanisme.
(11e texte d’une série sur Vatican II)
† Roger Ébacher
Évêque émérite de Gatineau

vendredi 16 novembre 2012

Vatican II et la famille

Fortement ébranlée depuis quelques générations, la famille reste une valeur fondamentale dans notre société. J’ai depuis plusieurs années constaté que beaucoup de jeunes dans la vingtaine expriment leurs aspirations à vivre dans une famille stable. Ils y voient leur chemin de bonheur.  Un sondage français montre aussi la même tendance.

Cette importance est aussi ressentie par le gouvernement du Québec qui a mis en place un site sur le sujet et publie des recherches très élaborées sur la situation des familles d’ici. Pour leur part, les évêques du Canada ont mis sur pied, avec les Chevaliers de Colomb, un organisme qui analyse les situations des familles et propose des chemins de guérison. Le Vatican a aussi mis sur pied un Conseil Pontifical pour la famille.

Toutes ces initiatives nous invitent à relire les orientations sur le sujet de la famille données par Vatican II dans son texte : « L’Église dans le monde de ce temps. » (par. 47-52) Elles sont toujours fécondes et d’actualité. Intitulé : « La dignité du mariage et de la famille », le document traite, entre autres, de l’amour conjugal et du respect qu’il faut lui donner, de la fécondité du mariage, de la bonté de l’acte conjugal, de la transmission responsable de la vie.

« La communauté profonde de vie et d’amour que forme le couple a été fondée et dotée de ses lois propres par le Créateur; elle est établie sur l’alliance des conjoints, c’est-à-dire sur leur consentement personnel irrévocable. » C’est une institution qui naît « de l’acte humain par lequel les époux se donnent et se reçoivent mutuellement. En vue du bien des époux, des enfants et aussi de la société, ce lien sacré échappe à la fantaisie de l’homme. Car Dieu lui-même est l’auteur du mariage qui possède en propre des valeurs et des fins diverses. » Puis on y rappelle que la famille est « d’une extrême importance pour la continuité du genre humain, pour le progrès personnel et le sort éternel de chacun des membres de la famille, pour la dignité, la stabilité, la paix et la prospérité de la famille et de la société humaine tout entière. »

Il est donc essentiel de s’engager pour que cette institution, basée sur l’amour humain capable d’engagement mutuel et de fidélités, puisse s’épanouir dans un environnement propice et soutenant. La famille pourra alors donner ses fruits. Les époux, les enfants, mais aussi toute la société en profiteront.
(10e texte de la série sur Vatican II)
† Roger Ébacher
Évêque émérite de Gatineau

lundi 12 novembre 2012

Vatican II et le respect de toute personne humaine

Nous rencontrons quotidiennement des personnes de diverses races, religions et situations sociales, économiques et politiques. Les évêques catholiques, il y a 50 ans, voyaient déjà se développer une telle mondialisation et ils ont offert dans le document conciliaire sur « L’Église dans le monde de ce temps » (par. 23ss.) un éclairage toujours actuel.

Retenons d’abord une affirmation générale: « Parmi les principaux aspects du monde d’aujourd’hui, il faut compter la multiplication des relations entre les hommes que les progrès techniques actuels contribuent largement à développer. Toutefois le dialogue fraternel des hommes ne trouve pas son achèvement à ce niveau, mais plus profondément dans la communauté des personnes et celle-ci exige le respect réciproque de leur pleine dignité spirituelle ».

Tous les humains, nous formons une seule famille et nous sommes liés les uns aux autres. Le développement de chaque personne est lié au développement de la société et du bien commun de tous sur notre planète. « Mais en même temps grandit la conscience de l’éminente dignité de la personne humaine, supérieure à toutes choses et dont les droits et les devoirs sont universels et inviolables. »

C’est dire que le respect dû à toute personne humaine, la justice sociale et le bien commun appellent des actes précis. « Il faut donc rendre accessible à l’homme tout ce dont il a besoin pour mener une vie vraiment humaine, par exemple : nourriture, vêtement, habitat, droit de choisir librement son état de vie et de fonder une famille, droit à l’éducation, au travail, à la réputation, au respect, à une information convenable, droit d’agir selon la droite règle de sa conscience, droit à la sauvegarde de la vie privée et à une juste liberté, y compris en matière religieuse. »(par. 26.3)

« De nos jours surtout, nous avons l’impérieux devoir de nous faire le prochain de n’importe quel homme et, s’il se présente à nous, de le servir activement : qu’il s’agisse de ce vieillard abandonné de tous, ou de ce travailleur étranger, méprisé sans raison, ou de cet exilé, ou de cet enfant né d’une union illégitime qui supporte injustement le poids d’une faute qu’il n’a pas commise, ou de cet affamé. » (par. 27.2)

Nous pouvons être portés à mettre des limites, des barrières à cette fraternité en acte et à ce respect égal pour toute personne.  Comment traiter nos adversaires? « Le respect et l’amour doivent aussi s’étendre à ceux qui pensent ou agissent autrement que nous en matière sociale, politique ou religieuse. D’ailleurs, plus nous nous efforçons de pénétrer de l’intérieur, avec bienveillance et amour, leurs manières de voir, plus le dialogue avec eux deviendra aisé. » C’est dire que le pardon est essentiel pour que la famille humaine se construise dans le respect mutuel, l’enrichissement réciproque et la recherche ensemble du bien commun universel dans la paix.

Est plus actuelle que jamais la parole de Jésus : « Chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait » (Matthieu 25, 40).
(9e texte d’une série sur Vatican II)
† Roger Ébacher
Évêque émérite de Gatineau

vendredi 9 novembre 2012

Un style pour la nouvelle évangélisation

Le jour de l’ouverture du concile Vatican II, le 11 octobre 1962, le « bon pape » Jean XXIII donnait un discours qui a orienté tout le travail de cette assemblée. Il y dénonçait ceux qui ne voient dans la situation actuelle de la société que ruines et calamités et affirmait son « complet désaccord avec ces prophètes de malheur, qui annoncent toujours des catastrophes, comme si le monde était près de sa fin. »

Puis il donnait une orientation positive : « Dans le cours actuel des événements, alors que la société humaine semble à un tournant, il vaut mieux reconnaître les desseins mystérieux de la Providence divine qui, à travers la succession des temps et les travaux des hommes, la plupart du temps contre toute attente, atteignent leur fin et disposent tout avec sagesse pour le bien de l'Église, même les événements contraires ».

Il ajoutait que la principale tâche d’un concile œcuménique, « c'est que le dépôt sacré de la doctrine chrétienne soit conservé et présenté d'une façon plus efficace. »  Et il précisait que sans jamais se détourner de cet héritage sacré, il faut que l’Église « se tourne vers les temps présents, qui entraînent de nouvelles situations, de nouvelles formes de vie et ouvrent de nouvelles voies à l'apostolat catholique. » Il demandait donc que l’Église s’ouvre au monde actuel et apprenne à entrer en dialogue confiant avec ce monde pour lui offrir l’Évangile éternel.

Les Pères conciliaires ont compris le message. Les textes issus de leurs assises parlent souvent de dialogue, de conversation, de coopération, d’écouter, d’accueil. Les chercheurs ont relevé ce style unique dans l’histoire des 21 conciles œcuméniques de l’Église catholique. Contrairement à ses prédécesseurs, ce Concile n’a pas décrété d'anathème, mais a cherché à montrer au monde la beauté et la bonté de l’Évangile et de la doctrine chrétienne.

Paul VI a donné une forte impulsion à cette même orientation dans sa première encyclique, dont une partie est intitulée: « Une Église qui se donne au monde dans le dialogue. » Il a cette magnifique formule : « L'Église doit entrer en dialogue avec le monde dans lequel elle vit. L'Église se fait parole; l'Église se fait message; l'Église se fait conversation. » (par 67) L’Église se modèle alors sur la pédagogie même de Dieu qui s’est manifesté dans toute sa générosité bienveillante dans le mystère du Fils de Dieu qui se fait l’un de nous pour être proche de nous, partager nos joies et nos peines dans un dialogue familier. Paul VI explicite le souci de Jean XXIII et du Concile  d’insérer « le message chrétien dans la circulation de pensée, d'expression, de culture, d'usages, de tendances de l'humanité telle qu'elle vit et s'agite aujourd'hui sur la face de la terre. » Et il ajoute : « Avant même de convertir le monde, bien mieux, pour le convertir, il faut l'approcher et lui parler. » (par. 70)

Voilà une orientation très actuelle en ces temps où il est tellement question d’une nouvelle évangélisation.
(8e texte d’une série sur Vatican II)
† Roger Ébacher
Évêque émérite de Gatineau

mardi 6 novembre 2012

La beauté du tatouage

En mars 2010, je publiais un message sur la pastorale jeunesse. Je lui donnais comme titre un texte librement traduit du prophète Isaïe 49,16 : « J’ai tatoué ton nom sur les paumes de mes mains ».  Ce choix me fut inspiré par le témoignage d’un jeune père de famille à qui je demandais ce que signifiait le tatouage qu’il avait fait graver sur son bras. Sa réponse m’a profondément ému. Il m’a dit avec une flamme de joie dans les yeux : « Je l’ai fait dessiner le matin où ma petite fille est née. Ainsi, je ne l’oublierai jamais! »

Madame Marie-Armelle Beaulieu, rédactrice en chef de La Terre Sainte, a détecté mon écrit lors de ses recherches pour rédiger un dossier très étoffé sur l’histoire et la réalité actuelle du tatouage en terre sainte. Ce reportage fut publié dans la parution de septembre-octobre 2012 de sa revue.  En page 37, j’ai lu avec surprise : « Mention spéciale et félicitations du jury à Mgr Roger Ebacher… » Merci pour la longue citation et cette belle reconnaissance de la part de cette intéressante et instructive revue.

Le reportage en question m’a appris l’importance du tatouage pour les pèlerins durant près de 500 ans. C’était un certificat ineffaçable de leur inoubliable voyage aux sources de la foi et de la vie chrétiennes. Les Chevaliers du Saint Sépulcre aimaient ainsi se faire marquer du nom de Jésus et de la Sainte Croix. Et encore aujourd’hui des chrétiens tiennent à porter sur leur corps une telle marque qui parle à leur cœur et peut aussi témoigner autour d’eux de leurs foi dynamique et profonde.

Que nous dit la Bible de telles pratiques? Le dossier ici cité note d’abord qu’un verset biblique interdit la pratique de mettre des inscriptions sur sa peau comme le faisaient les païens à l’occasion d’un deuil. Mais d’autres passages bibliques voient dans de tels tatouages un signe d’appartenance au vrai Dieu et même d’un attachement amoureux au Seigneur. Selon le beau texte du Cantique des Cantiques 8,6 : « Pose‑moi comme un sceau sur ton coeur, comme un sceau sur ton bras. Car l'amour est fort comme la Mort, la passion inflexible comme le Shéol. »

En somme, cette façon de marquer nos corps peut devenir une façon très significative d’exprimer une relation profonde, une appartenance cordiale, une ferveur qui changent la vie. Alors, cette image est belle et rayonne un profond goût de vivre.

† Roger Ébacher
Évêque émérite de Gatineau

samedi 3 novembre 2012

Vatican II et la nécessité de l’évangélisation

Vatican II enseigne qu’on peut faire son salut en dehors de l’Église, même dans l’ignorance du Christ Jésus, ou encore de Dieu. Cette affirmation rejoint l’enseignement du même concile au sujet de la liberté religieuse : toute personne doit pouvoir suivre librement la voie indiquée par sa conscience et ne peut pas être forcée à adhérer à une religion ou à une foi. Certains en ont conclu qu’il ne faut plus vivre une attitude missionnaire.

Ce n’est pourtant pas ce qu’a enseigné le concile dans son décret sur « L’activité missionnaire de l’Église. »  On y lit que l’activité missionnaire découle de la volonté de Dieu, qui « veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité. Car il n’y a qu’un seul Dieu, et un seul médiateur entre Dieu et les hommes, l’homme Jésus Christ, qui s’est livré en rançon pour tous » (1 Tm 2, 4-5) « Bien que Dieu puisse par des voies connues de lui amener à la foi sans laquelle il est impossible de plaire à Dieu (He 11, 6) des hommes qui, sans faute de leur part, ignorent l’Évangile, la nécessité incombe cependant à l’Église (cf. 1 Co 9, 16) – et en même temps elle en a le droit sacré – d’évangéliser, et par conséquent son activité missionnaire garde, aujourd’hui comme toujours, toute sa force et sa nécessité. » (par. 7)

Paul VI, dans son document sur « L’évangélisation dans le monde moderne » a senti le besoin de revenir sur la question. Il fait allusion à l’opinion voulant qu’il soit inutile d’annoncer l’Évangile « puisque tout le monde est sauvé par la droiture du coeur? » Et aussi à celle voulant que ce soit « une illusion de prétendre porter l’Évangile là où il est déjà dans ces semences que le Seigneur lui-même y a jetées. » (par.80)

Il rappelle que ce serait certes une erreur d’imposer quoi que ce soit à la conscience d’autrui.  « Mais c’est tout autre chose de proposer à cette conscience la vérité évangélique et le salut en Jésus-Christ en pleine clarté et dans le respect absolu des options libres qu’elle fera ». Ce n’est pas « un attentat à la liberté religieuse, c’est un hommage à cette liberté à laquelle est offert le choix d’une voie que même les non croyants estiment noble et exaltante.  Est-ce donc un crime contre la liberté d’autrui que de proclamer dans la joie une Bonne Nouvelle que l’on vient d’apprendre par la miséricorde du Seigneur ? C’est plutôt un devoir de l’évangélisateur. »

Présenter Jésus et l’Évangile à ceux qui ne les connaissent pas est une exigence intérieure pour la personne qui a vraiment expérimenté la beauté, la bonté, la joie de croire en ce Dieu miséricordieux au point de nous donner son Fils par amour.  C’est aussi une exigence de l’amour porté aux humains et à leur recherche de bonheur, de paix, de fraternité.

Certes, nous ne voulons pas ainsi enfermer l’Esprit-Saint dans les limites d’une Église. L’amour de Dieu n’a pas de bornes, de limites et rien ne lui est impossible. Mais c’est un devoir d’amitié de partager ce grand plan de générosité de Dieu qui veut faire de nous ses enfants rassemblés en Jésus, dans l’amour et la solidarité.
(7e texte d’une série sur Vatican II)
† Roger Ébacher
Évêque émérite de Gatineau