mardi 24 juillet 2012

Une lecture priante de l’Évangile de Jean

En juillet 1975, au cœur de cette année sainte inoubliable pour moi, l’Esprit de Jésus ressuscité m’a donné une soif insatiable des Saintes Écritures. Et depuis, je sens au fond de mon être un attrait à sans cesse les lire et relire, les méditer, les offrir aux personnes qui veulent bien venir y boire. De ce temps-ci, en prévision des prochaines retraites que j’animerai, je m’attache à l’évangile de saint Jean.

J’aime la classification proposée par le Cardinal Martini, voulant que chaque évangile soit écrit pour un temps particulier de notre vie de foi. Marc s’adresse surtout aux catéchumènes qui se préparent au baptême. Pour eux, Jésus est bien énigmatique, mais ils veulent le découvrir, marcher à sa suite et y chercher le bonheur et une vie qui a un but et vaut la peine d’être vécue. Marc leur en trace le chemin. C’est l’Évangile le plus court et il contient l’essentiel des récits sur Jésus et ses appels à le suivre. Il conduit pas à pas les catéchumènes à découvrir le vrai Dieu, à l’adorer et à écouter sa voix en suivant Jésus puis en faisant le choix décisif du baptême.

Matthieu est l’évangéliste du baptisé, de la vie en Église comme lieu de la suite de Jésus en communauté. J’ai beau être baptisé, il reste bien de coins de mon être et de ma vie qui sont encore païens et attendent une conversion plus profonde. Matthieu offre une formation progressive à travers de longues catéchèses qui permettent de se familiariser avec Jésus et avec son monde intérieur. Il apprend aussi comment vivre dans la communauté comme un membre responsable et qui s’engage avec d’autres dans le grand et beau projet de Dieu sur notre monde. Le baptisé doit graduellement reconnaître la présence du Christ dans les petits et les pauvres qui apparemment ne valent rien.

Luc, aussi bien dans son évangile que dans les Actes des Apôtres, est l’évangéliste du témoin et de la mission. C’est la prise en charge de la responsabilité confiée par Jésus à ses disciples : offrir l’Évangile jusqu’aux confins de la terre. On trouve dans cet évangile une formation systématique du témoin, de l’évangélisateur à l’école quotidienne de Jésus. On y apprend à offrir la Parole à celui qui ne croit pas, à celui qui croit différemment, à celui qui croit superficiellement. C’est lui qui nous donne un bouleversant itinéraire de cette formation dans le récit des disciples d’Emmaüs (Luc 24, 32-35).

Jean, c’est l’évangile du chrétien adulte. Il  s’adresse aux personnes déjà avancées dans la vie chrétienne et qui se sentent appelées par l'Esprit à approfondir encore sérieusement leur amitié avec Jésus. Jean, qui s’est penché à la dernière Cène sur le cœur de Jésus et a entendu ses secrets battements de son sein, sait que le mystère de Dieu, de Jésus et de l’Esprit est inépuisable. C’est une source qui devient source en celui qui croit.  Il faut sans cesse y boire à nouveau. Alors tout se simplifie et s’approfondit dans une lente méditation qui nous entraîne dans les profondeurs du Père, Celui qui a envoyé Jésus pour qu’en croyant au Fils nous devenions nous-mêmes de plus en plus enfants de Dieu. C’est essentiellement l’évangile de l’amour. C'est cet évangéliste qui aura l'audace d'écrire dans sa première lettre : « Dieu est Amour ».

Je suis à méditer le commentaire de ce dernier évangile rédigé par le Père Robert Mercier : L’Évangile « pour que vous croyiez ». C’est une étude de ce texte inépuisable à travers la méthode appelée « lectio divina ».  Il ne suffit pas d'une interprétation détaillée du texte. Il faut aussi en tirer des leçons de vie à l’aide des méditations de grands penseurs et mystiques de la tradition chrétienne. La liturgie qui intègre ces textes de Jean dans la vie de l’Église et de nos communautés est aussi mise au service de l’approfondissement du mystère de Dieu et de notre propre mystère, tels qu’ils nous sont révélés en Jésus.

On a comparé Jean à un aigle aux yeux perçants. Il vole très haut mais en même temps, comme au ras de l’histoire et du quotidien, il pénètre les secrets intimes de notre vie la plus ordinaire.  Par ses récits de signe et d’œuvres de Dieu et par ses enseignements, il nous entraîne dans les profondeurs du mystère de Dieu Père, Fils et Esprit et il nous  attire avec lui aux sources de notre propre vitalité humanité, communautaire et spirituelle.

Il est impossible de résumer l’évangile de Jean. Il faut le goûter soi-même pour que notre foi y recueille un ressourcement fécond, rafraichissant et capable de dynamiser d’une façon neuve notre vie. Il faut lire et relire Jean dans un mode méditatif. Son style est à la fois très vivant, coloré et évocateur, mais aussi provocateur et capable de nous faire plonger dans les mystères divins et humains. C’est un évangile à accueillir ligne par ligne, dans une atmosphère de prière amicale venant d’un coeur disponible et assoiffé. Bonne lecture!

† Roger Ébacher
Évêque émérite de Gatineau