Ordonné prêtre pour le diocèse d’Amos le 27 mai 1961, je pensais que mon parcours (ma « carrière ») serait simple, linéaire : professeur dans un collège ou une université pour le reste de mes jours.
Les signes allaient
dans ce sens. J’avais fait de bonnes études au cours classique du collège
d’Amos, puis en théologie au Séminaire St-Paul d’Ottawa. J’aimais être avec les
jeunes. Après quelques années d’enseignement et de direction des élèves au collège,
on m’a envoyé étudier la philosophie à Québec puis Paris, jusqu’au doctorat.
Mon ministère
Mais tels n’étaient
pas les plans de Dieu! Dès 1967, le collège d’Amos fermant, l’évêque d’alors,
Mgr Gaston Hains, m’appelle à la direction de la pastorale diocésaine. Puis, j’ai
assumé différents services ecclésiaux : curé en paroisse, vicaire épiscopal
pour une région du diocèse, vicaire général. Et en 1979, je suis ordonné évêque
de Hauterive.
En ces soixante
années, j’ai exercé un ministère pastoral varié, souvent inattendu. Tel fut sur
moi le souffle de l’Esprit dont on ne sait jamais où il nous mène. Ce furent
des années très intenses. Habité par la vision de l’Église Peuple de Dieu promue
par Vatican II, j’ai beaucoup œuvré à l’éducation de la foi des adultes. « Dis
ta foi, elle fleurira » : telle était la conviction qui m’inspirait et
que je cherchais à partager avec d’autres. Nous portions ensemble l’idéal de
communautés aux membres riches de vocations, talents et charismes variés, complémentaires,
et au service de notre monde. J’ai aussi voulu être présent aux souffrances des
personnes blessées par la vie ou par leurs semblables. La présence aux médias
devint de plus en plus importante dans ma vie quotidienne.
Encore aujourd’hui, je
nomme dans mon cœur, avec joie et admiration, tant de femmes et d’hommes qui se
sont épanouis alors que nous œuvrions ensemble pour développer une Église
vivante, aux membres liés par l’amour fraternel et œuvrant pour que notre monde
soit plus juste, plus respectueux des droits des petits, plus humain.
Ma spiritualité
Par les textes du
concile Vatican II, j’appris très tôt que le prêtre se sanctifie dans et par l’exercice
conscient, loyal, inlassable, fidèle de son ministère, en se laissant guider
par l’Esprit. Mais en fait, ma vie spirituelle fut profondément perturbée durant
les dix années qui suivirent le concile. Le changement d’orientation de certains
de mes confrères prêtres a provoqué en moi une solitude, un vide. Bourreau de
travail, affectivement immature, non porté vers des sports ou des loisirs, j’ai
perdu mon idéal d’être le « saint prêtre » qu’en priant je rêvais devenir
durant mes années au grand séminaire. J’ai erré dans des chemins sans issue et me
suis senti un jour enfermé dans un tunnel obscur, étouffant. Je travaillais,
mais sans souffle ni savoir pourquoi!
Il a fallu que Dieu
y mette la main pour que ma spiritualité et mon ministère trouvent leur unité
et s’éclairent mutuellement. En une journée lumineuse et chaude de juillet
1975, au cœur d’une « année sainte », Jésus s’est soudainement fait
reconnaitre par moi comme ressuscité. Ce Vivant a daigné dans sa grande
miséricorde illuminer mon intelligence et réchauffer mon cœur. Par son Esprit,
il m’a fait comprendre qu’il est actif dans ma vie, dans mes joies et mes
peines, dans mes travaux.
C’est lui qui agit à
travers mes divers ministères et qui, dans ces engagements où je collabore à
son œuvre actuelle dans le monde, me sanctifie si je suis docile à ses
impulsions. Mon ministère et ma sanctification sont d’abord un don de Jésus ressuscité
et c’est à moi d’accueillir ses impulsions spirituelles. Ce fut une très grande
grâce, une véritable transformation de ma vie sacerdotale et ministérielle. Ce
fut la plus grande joie de ma vie. Je vis encore aujourd’hui de cette lumière et de cette impulsion, ayant gardé au cœur cette confiance en Jésus et en son
action avec et par moi.
À partir de ce jour,
les Paroles de la Bible me sont devenues autant de sources pour ma soif intime,
et de pain substantiel pour ma faim. Ce sont les Paroles données par l’Église
dans la liturgie eucharistique quotidienne qui m’abreuvent, me nourrissent.
Richesses inépuisables, toujours actualisées par l’Esprit qui les anime et me
rend attentif à leurs appels!
Tous les jours, j’invoque
l’Esprit de Jésus ressuscité. Lui seul peut me donner de la joie au cœur, à
travers les aléas de mon quotidien. Lui seul peut me rendre conscient que tout
fruit du ministère « est plutôt l’ouvrage de Dieu que l’industrie des
hommes » (Saint François de Laval). Il m’apporte ainsi la paix.
Au fil des ans, ma
spiritualité a été de plus en plus marquée par un abandon à la volonté divine.
Je renouvelle chaque jour mon adhésion à cette volonté avec la prière de saint
Charles de Foucauld : Mon Père, je
m’abandonne à toi… ; et avec celle de saint Ignace de Loyola : Prends Seigneur, et reçois…
M’unissant à la
prière officielle de l’Église, mes jours et mes saisons sont rythmées
par la liturgie des heures, appelée aussi Office divin, ou plus
communément : le bréviaire.
Tous les jours, Jésus
ressuscité, le Vivant sous le signe du Pain consacré, m’attire à la chapelle
pour un temps d’intimité. Par ailleurs, je me confie quotidiennement à la
tendre protection de Marie et je prie le chapelet. Je vais aussi à Jésus
par l’intercession de saint Joseph, sainte Marie de l’Incarnation, saint
François de Laval, les saints Martyrs Canadiens, le saint Frère André… Le défi est
alors de vaincre les distractions, la routine, la fatigue, la paresse, le
sentiment de perdre mon temps. Prier n’est pas facile : combat à reprendre
jour après jour.
Revient toujours en
mon cœur la question : ai-je vraiment aimé? Durant ces soixante années
me fut particulièrement précieuse la disponibilité de
prêtres accueillants, qui écoutaient et donnaient de sages conseils de vie spirituelle.
Ce fut une grande bonté du Seigneur de mettre sur mon chemin de tels confesseurs.
Leur attitude m’a peu à peu fait découvrir que Dieu est vraiment mon Père et
toujours accueillant, que sa miséricorde n’a pas de limites! Quelle grâce!
Un jour, priant, je
demande à Jésus : « Je désire être avec toi, là où tu es : chez
le Père. » Et a jailli dans mon cœur la réponse : « Alors passe
par où je suis passé. » Que cette parole soit la lumière sur mon chemin actuel!
Viens, Esprit Saint, me rendre capable de vivre dans la foi et le courage de
l’espérance ces transfigurations nécessaires pour suivre Jésus. Viens me
rappeler que le poids des souffrances du temps présent est minime par rapport à
la gloire éternelle qui nous est promise.
Je rends grâces à
Dieu de pouvoir encore célébrer l’eucharistie tous les jours, de partager aussi
dans l’homélie quelques réflexions sur les Paroles alors proclamées. Et comme
je désire pouvoir le faire jusqu’au jour de ma mort!
En ce soixantième
anniversaire de ma vie presbytérale, j’adore Dieu et le loue pour ses
miséricordes sans cesse actives, généreuses, débordantes.
Et j’ai un grand
désir, une vive espérance de les chanter éternellement au ciel, chez mon Père,
chez nous.
† Roger Ébacher
Évêque retraité de Gatineau