lundi 24 mai 2021

Soixante ans de vie sacerdotale

Ordonné prêtre pour le diocèse d’Amos le 27 mai 1961, je pensais que mon parcours (ma « carrière ») serait simple, linéaire : professeur dans un collège ou une université pour le reste de mes jours.

Les signes allaient dans ce sens. J’avais fait de bonnes études au cours classique du collège d’Amos, puis en théologie au Séminaire St-Paul d’Ottawa. J’aimais être avec les jeunes. Après quelques années d’enseignement et de direction des élèves au collège, on m’a envoyé étudier la philosophie à Québec puis Paris, jusqu’au doctorat.

Mon ministère
Mais tels n’étaient pas les plans de Dieu! Dès 1967, le collège d’Amos fermant, l’évêque d’alors, Mgr Gaston Hains, m’appelle à la direction de la pastorale diocésaine. Puis, j’ai assumé différents services ecclésiaux : curé en paroisse, vicaire épiscopal pour une région du diocèse, vicaire général. Et en 1979, je suis ordonné évêque de Hauterive.

En ces soixante années, j’ai exercé un ministère pastoral varié, souvent inattendu. Tel fut sur moi le souffle de l’Esprit dont on ne sait jamais où il nous mène. Ce furent des années très intenses. Habité par la vision de l’Église Peuple de Dieu promue par Vatican II, j’ai beaucoup œuvré à l’éducation de la foi des adultes. « Dis ta foi, elle fleurira » : telle était la conviction qui m’inspirait et que je cherchais à partager avec d’autres. Nous portions ensemble l’idéal de communautés aux membres riches de vocations, talents et charismes variés, complémentaires, et au service de notre monde. J’ai aussi voulu être présent aux souffrances des personnes blessées par la vie ou par leurs semblables. La présence aux médias devint de plus en plus importante dans ma vie quotidienne.

Encore aujourd’hui, je nomme dans mon cœur, avec joie et admiration, tant de femmes et d’hommes qui se sont épanouis alors que nous œuvrions ensemble pour développer une Église vivante, aux membres liés par l’amour fraternel et œuvrant pour que notre monde soit plus juste, plus respectueux des droits des petits, plus humain.

Ma spiritualité
Par les textes du concile Vatican II, j’appris très tôt que le prêtre se sanctifie dans et par l’exercice conscient, loyal, inlassable, fidèle de son ministère, en se laissant guider par l’Esprit. Mais en fait, ma vie spirituelle fut profondément perturbée durant les dix années qui suivirent le concile. Le changement d’orientation de certains de mes confrères prêtres a provoqué en moi une solitude, un vide. Bourreau de travail, affectivement immature, non porté vers des sports ou des loisirs, j’ai perdu mon idéal d’être le « saint prêtre » qu’en priant je rêvais devenir durant mes années au grand séminaire. J’ai erré dans des chemins sans issue et me suis senti un jour enfermé dans un tunnel obscur, étouffant. Je travaillais, mais sans souffle ni savoir pourquoi!

Il a fallu que Dieu y mette la main pour que ma spiritualité et mon ministère trouvent leur unité et s’éclairent mutuellement. En une journée lumineuse et chaude de juillet 1975, au cœur d’une « année sainte », Jésus s’est soudainement fait reconnaitre par moi comme ressuscité. Ce Vivant a daigné dans sa grande miséricorde illuminer mon intelligence et réchauffer mon cœur. Par son Esprit, il m’a fait comprendre qu’il est actif dans ma vie, dans mes joies et mes peines, dans mes travaux.

C’est lui qui agit à travers mes divers ministères et qui, dans ces engagements où je collabore à son œuvre actuelle dans le monde, me sanctifie si je suis docile à ses impulsions. Mon ministère et ma sanctification sont d’abord un don de Jésus ressuscité et c’est à moi d’accueillir ses impulsions spirituelles. Ce fut une très grande grâce, une véritable transformation de ma vie sacerdotale et ministérielle. Ce fut la plus grande joie de ma vie. Je vis encore aujourd’hui de cette lumière et de cette impulsion, ayant gardé au cœur cette confiance en Jésus et en son action avec et par moi.

À partir de ce jour, les Paroles de la Bible me sont devenues autant de sources pour ma soif intime, et de pain substantiel pour ma faim. Ce sont les Paroles données par l’Église dans la liturgie eucharistique quotidienne qui m’abreuvent, me nourrissent. Richesses inépuisables, toujours actualisées par l’Esprit qui les anime et me rend attentif à leurs appels!

Tous les jours, j’invoque l’Esprit de Jésus ressuscité. Lui seul peut me donner de la joie au cœur, à travers les aléas de mon quotidien. Lui seul peut me rendre conscient que tout fruit du ministère « est plutôt l’ouvrage de Dieu que l’industrie des hommes » (Saint François de Laval). Il m’apporte ainsi la paix.

Au fil des ans, ma spiritualité a été de plus en plus marquée par un abandon à la volonté divine. Je renouvelle chaque jour mon adhésion à cette volonté avec la prière de saint Charles de Foucauld : Mon Père, je m’abandonne à toi… ; et avec celle de saint Ignace de Loyola : Prends Seigneur, et reçois…

M’unissant à la prière officielle de l’Église, mes jours et mes saisons sont rythmées par la liturgie des heures, appelée aussi Office divin, ou plus communément : le bréviaire.

Tous les jours, Jésus ressuscité, le Vivant sous le signe du Pain consacré, m’attire à la chapelle pour un temps d’intimité. Par ailleurs, je me confie quotidiennement à la tendre protection de Marie et je prie le chapelet. Je vais aussi à Jésus par l’intercession de saint Joseph, sainte Marie de l’Incarnation, saint François de Laval, les saints Martyrs Canadiens, le saint Frère André… Le défi est alors de vaincre les distractions, la routine, la fatigue, la paresse, le sentiment de perdre mon temps. Prier n’est pas facile : combat à reprendre jour après jour.

Revient toujours en mon cœur la question : ai-je vraiment aimé? Durant ces soixante années me fut particulièrement précieuse la disponibilité de prêtres accueillants, qui écoutaient et donnaient de sages conseils de vie spirituelle. Ce fut une grande bonté du Seigneur de mettre sur mon chemin de tels confesseurs. Leur attitude m’a peu à peu fait découvrir que Dieu est vraiment mon Père et toujours accueillant, que sa miséricorde n’a pas de limites! Quelle grâce!

Un jour, priant, je demande à Jésus : « Je désire être avec toi, là où tu es : chez le Père. » Et a jailli dans mon cœur la réponse : « Alors passe par où je suis passé. » Que cette parole soit la lumière sur mon chemin actuel! Viens, Esprit Saint, me rendre capable de vivre dans la foi et le courage de l’espérance ces transfigurations nécessaires pour suivre Jésus. Viens me rappeler que le poids des souffrances du temps présent est minime par rapport à la gloire éternelle qui nous est promise.

Je rends grâces à Dieu de pouvoir encore célébrer l’eucharistie tous les jours, de partager aussi dans l’homélie quelques réflexions sur les Paroles alors proclamées. Et comme je désire pouvoir le faire jusqu’au jour de ma mort

En ce soixantième anniversaire de ma vie presbytérale, j’adore Dieu et le loue pour ses miséricordes sans cesse actives, généreuses, débordantes. 

Et j’ai un grand désir, une vive espérance de les chanter éternellement au ciel, chez mon Père, chez nous.

† Roger Ébacher

Évêque retraité de Gatineau