« Nous
sommes les héritiers de deux siècles d’énormes vagues de changement : la
machine à vapeur, le chemin de fer, le télégraphe, l’électricité, l’automobile,
l’avion, les industries chimiques, la médecine moderne, l’informatique, et,
plus récemment, la révolution digitale, la robotique, les biotechnologies et
les nanotechnologies. » (102) Voilà comment le pape François résume ces
extraordinaires poussées de la technoscience. Ces
progrès sont enthousiasmants et ouvrent à de nouvelles possibilités. Depuis ses
débuts, l’humanité modifie la nature à des fins utiles. « Nous ne
pouvons pas ne pas valoriser ni apprécier le progrès technique, surtout dans la
médecine, l’ingénierie et les communications. Et comment ne pas reconnaître
tous les efforts de beaucoup de scientifiques et de techniciens qui ont apporté
des alternatives pour un développement durable? »
Mais
le pape note aussi que « nous ne pouvons pas ignorer que l’énergie
nucléaire, la biotechnologie, l’informatique, la connaissance de notre
propre ADN et d’autres capacités que nous avons acquises, nous donnent un terrible
pouvoir. » (104) Et rien ne garantit qu’on s’en servira toujours bien.
Pensons aux bombes atomiques lancées en plein XXe siècle, au déploiement technologique étalé par le nazisme, par le communisme et par d’autres
régimes totalitaires au service de l’extermination de millions de personnes.
Aujourd’hui,
la logique qui se développe est celle de maximiser les profits. « Ce qui
intéresse c’est d’extraire tout ce qui est possible des choses par l’imposition
de la main de l’être humain, qui tend à ignorer ou à oublier la réalité même de
ce qu’il a devant lui. Voilà pourquoi l’être humain et les choses ont cessé de
se tendre amicalement la main pour entrer en opposition. De là, on en vient
facilement à l’idée d’une croissance infinie ou illimitée, qui a enthousiasmé
beaucoup d’économistes, de financiers et de technologues. Cela suppose le
mensonge de la disponibilité infinie des biens de la planète, qui conduit à la “presser”
jusqu’aux limites et même au-delà des limites. » (106)
Face
à ce système mondial, la culture écologique exige « un regard différent,
une pensée, une politique, un programme éducatif, un style de vie et une
spiritualité qui constitueraient une résistance face à l’avancée du paradigme
technocratique. » Il est possible d’élargir notre regard, de limiter la
technologie, de l’orienter et la mettre au service d’un progrès « plus
sain, plus humain, plus social, plus intégral. » Car notre monde manque
aujourd’hui d’une éthique solide, d’une culture et d’une spiritualité qui le
limitent réellement et le contiennent dans une abnégation lucide. Il a un
urgent besoin d’un « supplément d’âme ».
† Roger Ébacher
Évêque émérite de Gatineau