jeudi 30 juin 2016

Rosalie, femme d’ici et témoin de la Miséricorde

En cette année sainte de la Miséricorde, il est bon de nous souvenir de personnes de chez nous qui ont vécu la miséricorde d’une façon exemplaire. Telle fut Rosalie Cadron-Jetté. Le petit livre de Sœur Gisèle Boucher, s.m., dont le titre est : Sur les pas de Rosalie… Au service de la vie (Montréal, Les Éditions À3Brins, 2012, 177p.) fait le récit de la vie de cette femme québécoise et de son œuvre. Le 9 décembre 2013, le pape François a reconnu les vertus héroïques de Rosalie Cadron-Jetté, fondatrice des Sœurs de Miséricorde. Elle fut ainsi déclarée Vénérable.
 
Rosalie Cadron est née à Lavaltrie, Québec, le 27 janvier 1794. À 17 ans, le 7 octobre 1811, elle épouse Jean-Marie Jetté qui a alors 33 ans. Ils auront onze enfants, dont cinq mourront en bas âge. Le couple devient propriétaire d’une ferme. Ils y vivent heureux. Toutefois, ils doivent déménager, n’ayant pas autour de lots pour établir leurs enfants. Ils achètent une terre à St-Hyacinthe, pour ensuite découvrir que le vendeur n'en était pas le propriétaire. Ils perdent tout et la famille, en 1827, déménage à Montréal où Jean-Marie travaillera comme journalier. Quel choc pour les campagnards que d’arriver dans cette ville de 20 000 habitants! De peine et de misère, la famille se tire d’affaire! Rosalie développe de plus en plus sa confiance abandonnée entre les mains de Dieu bonne Providence.
 
Le 14 juin 1832, Jean-Marie meurt du choléra. Voilà Rosalie veuve avec sept enfants à charge. Peu à peu, les enfants grandissent, se marient, quittent la maison. En 1838, Rosalie est plus libre et s’engage dans des œuvres de charité. Dès 1840, Mgr Bourget fait appel à Rosalie lorsque des mères célibataires se confient à lui. Elle s’occupe de les placer, assure le suivi de chaque grossesse. Puis Rosalie fait baptiser le nouveau-né.
 
La croissance démographique de Montréal provoque une multiplication de mères célibataires. Mgr Bourget projette de créer une nouvelle communauté religieuse et demande à Rosalie de s’investir dans cette œuvre. Il connaît son humilité, sa simplicité, son abnégation, sa grande confiance à la Providence. Il reconnaît en elle un « charisme de miséricorde. » Rosalie accepte et fonde, le 1er mai 1845, un hospice caché dans le grenier d'une maison délabrée appartenant à une veuve, pour recevoir ces femmes mises au ban de la société.
 
Cet engagement apporte à Rosalie bien des rejets, du mépris. Beaucoup lui reprochent de s’occuper de telles filles. Elle nuit ainsi, dit-on, à la société; elle déshonore sa famille. On l’accuse de pratiquer « une charité mal comprise qui ne peut que favoriser le vice. » Elle va porter le déshonneur et la marginalisation que la société impose à ces femmes. Elle s’identifie AVEC ces mères impitoyablement repoussées et obligées de chercher asile dans des milieux risquées pour leur vie morale et physique. Rosalie, souvent seule la nuit, risque sa vie dans les rues malfamées : elle les cherche pour les sauver.
 
C’est ainsi que fut fondée, à travers beaucoup de difficultés, une foi héroïque, une miséricorde tenace, une confiance inébranlable dans la fidélité à la divine Providence, la communauté religieuse canadienne des Sœurs de Miséricorde. L'Institut reçoit la mission suivante : « Vivre la miséricorde de Jésus avec les filles et les femmes en situation de maternité hors mariage et leurs enfants et, encore, avec les mères de famille vivant difficilement leur maternité. »  C'est un mandat de miséricorde envers des personnes vulnérables et exploitées, envers des enfants toujours à risque d’être rejetés dans le fleuve, les égouts, abandonnés dans les rues et sous les pas des chevaux.
 
Rosalie meurt le 5 avril 1864. À son décès, la communauté compte trente-trois religieuses professes, cinq novices, six postulantes, plusieurs autres personnes attachées selon différents liens d’appartenance à la maison. Quelle œuvre étonnante accomplie du 1er mai 1845 au 5 avril 1864! L’institut a réalisé sa mission en accueillant deux mille deux cent quarante-quatre filles et femmes.
 
Les témoignages retenus dans le beau livre de Sœur Gisèle Boucher affirment que « Rosalie portait dans ses entrailles le destin de ces filles et de ces femmes, avec celui de leurs enfants. Leur destin et le sien ne faisaient qu’UN en Jésus. »
 
Ce charisme de miséricorde s’actualise encore aujourd’hui dans « La Famille de la Miséricorde », constituée de plusieurs groupes de femmes et d’hommes qui perpétuent l’amour viscéral de Rosalie pour ces filles, qui « sont son cœur ».
 
† Roger Ébacher
Évêque émérite de Gatineau